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jeudi 13 avril 2006

CPE: analyse politique choc

Je ne peux m'empêcher de reproduire cet entretien choc trouvé dans Libération: l'analyse de Jean-Louis Bourlanges, député UDF... Je suis assez d'accord avec lui. Ce n'est pas un hasard: même si je suis de gauche, beaucoup d'analyses institutionnelles des Bayrou et ses amis rejoignent les miennes (ou l'inverse).

l'après-CPE. Jean-Louis Bourlanges, député UDF, analyse erreurs de droite et illusions de gauche :
«Le mieux serait que Chirac s'en aille pour lever l'hypothèque présidentielle»
par Renaud DELY / QUOTIDIEN : jeudi 13 avril 2006

S'il admet que les échecs de la droite redonnent de la vigueur à la gauche dans la perspective de 2007, Jean-Louis Bourlanges, député européen UDF et proche de François Bayrou, espère surtout que l'issue de la présidentielle permettra de construire un «parti de la réforme».

Quels dégâts laissera la crise du CPE d'ici à la présidentielle ? La gauche a-t-elle raison de se réjouir déjà de sa victoire annoncée en 2007 ?
Tant que le Premier ministre sera en place, le gouvernement n'aura guère d'autorité. Le mieux serait que Jacques Chirac s'en aille pour lever au plus vite l'hypothèque présidentielle. Ne rêvons pas : si l'intérêt particulier devait chez lui s'effacer au profit de l'intérêt général, ça se saurait. Pour le reste, la gauche sort requinquée d'une crise en forme de divine surprise et madame Royal ou monsieur Jospin y trouvent une crédibilité inattendue. Ce serait toutefois une illusion symétrique de celle de M. de Villepin que de penser à gauche que l'affaire est dans la poche. Je suis convaincu que les Français sont plus conscients qu'on ne le pense de l'exigence de changements importants dans la société, changements qu'ils ne souhaitent pas, mais dont ils mesurent la nécessité. C'est le parti de la réforme qui est entièrement à reconstruire. Entre une gauche qui refuse les réformes et une droite qui ne sait pas les mener à bien, l'heure du centre a-t-elle sonné? Vous imaginez bien que je le souhaite.


Avec ce nouvel échec, qui vient après le CIP d'Edouard Balladur ou le plan Juppé sur la Sécu, la droite française est-elle définitivement fâchée avec la réforme ?
La liste est longue des réformes avortées sous des gouvernements de droite. La droite et le centre ont au moins le mérite d'essayer. Et parfois, comme sur les retraites, de réussir à moitié. La situation de la gauche est plus confortable car elle se garde bien de rien tenter qui puisse déplaire à ses électeurs. Le pays est divisé sur le concept même de réforme : à droite, c'est un ensemble d'adaptations à caractère plus ou moins libéral destinées à permettre à l'économie française de tenir le choc de la mondialisation. A gauche, c'est la poursuite d'un processus séculaire d'octroi de ressources financières et de droits nouveaux pour les citoyens, alors même que ce processus a cessé d'être gérable financièrement et tenable économiquement. La droite est sotte et la gauche cynique. La première arrive avec son bol d'huile de ricin à la main et s'étonne de ne pas être accueillie avec des vivats. La seconde oscille entre une distribution offensive de faux droits, telle la retraite à 60 ans ou les 35 heures, et la crispation défensive sur les droits acquis, crispation abusivement identifiée à la réduction des inégalités. Dans un contexte aussi peu consensuel, celui qui sort de la tranchée a toutes les chances d'être assassiné, surtout s'il le fait de façon aussi arrogante et irréfléchie que Dominique de Villepin.


Villepin n'est-il pas d'abord victime de Chirac ?
Villepin et Chirac, c'est bonnet blanc et blanc bonnet. Le premier est à côté du second depuis onze ans et a été partie prenante de toutes les erreurs du Président, à commencer par la brillante dissolution de 1997. On espérait seulement qu'il aurait un peu plus de fermeté et de dignité dans l'épreuve que son maître, par exemple en démissionnant au terme de sa tentative au lieu de se résigner à cautionner le contraire de ce qu'il avait annoncé. On s'était trompé et on a découvert que Villepin n'était, comme jadis Daladier, qu'un «roseau peint en fer». Par son mélange de rodomontades et d'«à-plat-ventrisme», il a montré qu'il était le digne émule de Jacques Chirac. Villepin, c'est un perroquet qui a voulu se faire passer pour un aigle. Sans grand succès.


Qu'est-ce que cette crise révèle du fonctionnement de nos institutions ? Comment y remédier, alors qu'à gauche comme à droite les projets de réforme institutionnelle se multiplient pour 2007 ?
Cette crise révèle l'impuissance de l'Etat fort. La France reste «cette terre de commandement» décrite par Crozier il y a un demi-siècle, à ceci près que personne n'y obéit plus. Le général de Gaulle avait cru possible d'assurer l'efficacité de l'Etat en musclant l'exécutif et en donnant tant au gouvernement qu'au Président les moyens de s'imposer au Parlement. Ce qu'il n'avait pas prévu, c'est que les titulaires de ce pouvoir seraient aussi faiblement représentatifs de l'opinion : avec 19 % des suffrages exprimés au premier tour de son élection, Chirac dispose aujourd'hui de 100 % des pouvoirs institutionnels. Du coup, le polygone de sustentation de pouvoir est trop étroit. Et la réforme, même votée, validée et promulguée, finit par être rejetée. Il est essentiel que le Parlement redevienne un lieu de délibération et de décision respecté du peuple, ce qui implique que la loi ne soit pas votée par une fausse majorité représentative d'un Français sur cinq. Plus le processus législatif sera lent, sillonné d'embûches, peuplé de négociations, jalonné de compromis, plus le Parlement sera respecté, et moins la tentation de la rue sera forte. Ceci milite en faveur de l'instauration de la représentation proportionnelle.

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