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vendredi 16 décembre 2005

Epuration ethnique au PvdA °

L'arrondissement d'Amsterdam Oud-Zuid est un quartier très dynamique et mélangé. 40% de ses habitants enregistrés n'ont pas la nationalité néerlandaise. Les Occidentaux sont la minorité la plus nombreuse (un tiers de la population), mais il y a aussi beaucoup de Noirs des Antilles et du Suriname, qui forment avec les autres "allochtones" officiels (Turcs et Marocains), environ 10% du total. Que je sache, je suis le seul candidat occidental (non-Néerlandais) de l'arrondissement. Parmi les électeurs du parti travailliste, ces minorités (Occidentaux et allochtones) représente une écrasante majorité. Les Néerlandais blancs votent plutôt VVD (libéraux) et GroenLinks (écolos). Hier soir, la section locale du PvdA s'est réunie pour aprouver la liste proposée par une commission ad hoc.
La procédure est la suivante: on passe en revue les candidats en partant de la tête de liste, et si quelqu'un estime qu'un autre candidat sied mieux à la liste, s'engage une procédure de remise en cause. Un membre de la commission défend le candidat remis en cause, et des alliés du nouveau candidat doivent brièvement convaincre la section du bien-fondé de leur remise en cause. Les candidats eux-mêmes n'ont pas le droit de s'exprimer. En réalité, peu importe les arguments: tout a été réglé en coulisse, et l'argumentaires des avocats des candidats ne sont écoutés que d'une oreille distraite. Tout a donc eu lieu bien avant la réunion de section.
Arrive donc la tête de liste, une femme originaire du sud du pays. Personne ne la conteste, clap clap, bravo. Ensuite le n°2, personne ne le conteste, clap clap, bravo. Et ainsi de suite jusqu'au n°6, le premier allochtone de la liste. Là, des amis de la n°9 de la liste se plaignent qu'il y a 3 hommes l'un après l'autre à partir de la sixième place. Quelle horreur, de la discrimination! On vote, et notre n°6, d'origine turque, obtient une courte majorité et peut rester. Ouf! Au tour du n°7, Néerlandais de souche, personne ne le conteste, clap clap, bravo.
Voici le n°8, c'est à dire moi, deuxième et dernier candidat non-Néerlandais de souche de la liste. La même n°9 envoie ses amis contester ma position: elle est certes une fille fabuleuse, mais surtout, ne pas mettre une femme à cette place, c'est vraiment de la discrimination. La commission me défend: il est brillant, a du charisme, est très prometteur, a montré ses qualités à la télé, blablaba. On vote: la fille le remporte haut la main. Clap clap, bravo.
Je décide alors de me retirer de la liste. Surprise dans la salle. Je m'explique: "40% de la population du quartier n'est pas néerlandaise, et en comptant les naturalisés on doit arriver au moins à la moitié. Ma thèse de doctorat portait sur l'accès des minorités au pouvoir politique en France et aux Pays-Bas, c'est donc un thème qui me tient à cœur. Je suis très content que les femmes soient bien représentées sur cette liste, mais le fait qu'il y ait si peu d'allochtones ne me plaît pas du tout. Un Turc en 6ème position c'est pas trop mal mais déjà insuffisant. Je préfère ne pas légitimer une telle liste et je me retire."
Panique parmi la commission. On me prend à part: "c'est une bêtise, tu as tellement de potentiel, comme c'est parti tu risques tout de même d'être élu, nous insistons pour que tu restes..." Après tant d'attention, je décide finalement de maintenir ma candidature, clap clap, bravo. On me serre la main, on me glisse "tu aurais dû être tête de liste", bref, quelques secondes de soudaine popularité. C'est vrai que je suis assez nouveau au parti et que je n'ai appelé personne pour défendre ma place. On passe au n°10, clap clap, bravo, et ainsi de suite.

Ce qui me chiffonne, tout d'abord, c'est que si la place n°9 est presque aussi bien que la place n°8, pourquoi cette arriviste créature a-t-telle déployé autant d'énergie à appeler la moitié de la section et rameuter ses amis d'enfance pour monter d'une place? Ensuite, si elle-même et le parti sont tellement préoccupés par le panachage identitaire de la liste (ici, la place des femmes), pourquoi n'a-t-elle attaqué que les deux allochtones et laissé les autres tranquilles? La variété identitaire s'arrête-t-elle à la possession d'un pénis ou d'un vagin?
Je pense que ce n'est pas un hasard si les deux seuls candidats remis en cause sont les seuls allochtones de la liste: ce genre d'attaques pour monter de quelques places sont le fruit d'une préparation minutieuse. On étudie qui on a le plus de chances d'envoyer bouler. Et cette fille, soit-disant tellement préoccupée par la mixité de la liste, semble avoir bien compris que les maillons faibles du parti sont les allochtones. C'est vraiment révélateur de l'atmosphère politique aux Pays-Bas et au sein du parti travailliste. On ami m'a encore déclaré hier: "les partis politiques néerlandais détestent les allochtones pro-actifs. Ils préfèrent les jeunes allochtones bien soumis et naïfs, les 'alibi-Ali'. Le PvdA encore plus que les autres." Quelle prescience!

On a insisté pour que je reste sur la liste, mais je ne suis pas très heureux. Peut-être n'est-ce qu'un incident isolé provoqué par une fille ayant très très envie d'être élue. Elle n'a aucune vision, elle veut être élue, coûte que coûte. D'après ce que j'ai compris et entendu, c'est malheureusement loin d'être une exception, et, effectivement, la présence des allochtones à des places intéressantes reste vraiment faible. Ahmed Marcouch a été choisi comme tête de liste dans une banlieue d'Amsterdam, mais beaucoup chuchotent que c'est surtout la densité de son réseau (il est le très médiatique porte parole des mosquées marocaines d'Amsterdam) qui l'a rendu désirable. Si vous êtes un politicien allochtone, il vous est donc conseillé de venir avec une armée électorale déjà constituée.
Heureusement, il reste au pauvre électeur une arme de choix: le vote préférentiel. Plutôt que de cocher la tête de liste, il a la possibilité de cocher un nom en particulier. Quelqu'un qui est a priori inéligible peut finir au conseil municipal s'il a obtenu sur son nom quelques centaines de voix (on m'a dit 300, ça reste à vérifier). C'est la prochaine étape de mes aventures: arriver à convaincre assez d'électeurs de contrer la distorsion anti-allochtone dont a fait preuve le parti jusque là et de voter directement pour moi. Et espérer que cela ait un impact dans les autres arrondissement et que les électeurs ne se laissent pas imposer des listes ethniquement pures.

A suivre...