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mardi 27 septembre 2005

Les gays d’Amsterdam confrontés au bareback *

L'augmentation des pratiques à risque à Amsterdam a provoqué, ces derniers mois, diverses réactions dans le milieu gay. Certains en appellent à l'interdiction pure et simple du bareback, pendant que d'autres tentent de développer le dépistage et l'information auprès des jeunes gays.
En avril dernier, le quotidien populiste De Telegraaf annonçait en gros titre: «Trente pour cent des homos sont des barebackers». Ce chiffre était immédiatement repris par tous les autres médias néerlandais. Déjà, en janvier, on avait pu lire sur tous les sites gay: «Soirée bareback incontrôlable à la XXLeather.» Et, dans la foulée, un inspecteur du GG&GD, l'organisme néerlandais chargé de la santé publique, avait exigé l'interdiction des soirées bareback. La télé-réalité néerlandaise filmait les pédés honteux en caméra cachée au fond des bois et vérifiait qu'on y baisait sans risque… Récemment, Herman Vuijsje, sociologue et journaliste néerlandais de renom, a provoqué un nouveau scandale en appelant, dans le quotidien Volkskrant du 7 septembre dernier, le COC, équivalent du CGL français, à lancer «une fatwa dans laquelle il [serait] écrit noir sur blanc que le sexe anonyme non protégé entache la réputation de la majorité des gays et forme une barrière contre une acceptation plus poussée». Et de s'indigner: «On exige des musulmans qu'ils condamnent les actes terroristes. Que la communauté homo fasse de même!» Le bareback à Amsterdam, mythe ou réalité, peu importe, il fait vendre!
Pourtant, selon Ton Coenen, directeur de Soa Aids Nederland, il ne faut pas confondre relâchement de la vigilance et bareback: «Il existe à Amsterdam un petit groupe de gays, représentant de 4 à 5% de la population homosexuelle, qui veut délibérément prendre des risques. Ce sont les barebackers. Et, d'après plusieurs études, 30% des homos se sont trouvés dans une situation à risque dans l'année, mais pas délibérément la plupart du temps. Il s'agissait plutôt d'"accidents": alcool, crise amoureuse, drogue, déchirure de préservatif. Rien n'était planifié. Pour nous, ce n'est pas du bareback.»
Ce qui angoisse les professionnels néerlandais de la prévention, c'est le contact de plus en plus régulier entre le noyau dur des barebackers hollandais et le reste des gays: non seulement dans les lieux communautaires (saunas, sex-clubs, parcs), mais aussi et surtout grâce à Internet. La politique de réduction des risques de la Schorer Stichting, l'organisme chargé par l'État néerlandais de la santé des gays et des lesbiennes, n'a pas porté ses fruits: la plupart des barebackers sont déjà séropositifs, sous traitement, et savent parfaitement quelles pratiques génèrent quels risques. Le site qui leur était consacré (www.gayhealth.nl/bbs) a été suspendu, même si les flyers noirs et roses sont encore dans tous les bars de la Warmoestraat – «rue de la Vaseline», comme l'appellent les autochtones. On les voit sur le Net, non seulement chez les habitués de l'IRC, mais de plus en plus sur des sites comme gay.nl, chatboy.nl ou gaydar.nl.
«Il ne faut cependant pas oublier que les garçons ont tendance à exagérer leurs exploits, explique Wim Zuilhof, chargé de la prévention à la Schorer Stichting. Tout d'abord, il faut faire la part des choses entre les fantasmes affichés en ligne et la réalité. Le bareback est un fantasme pour beaucoup de monde, même si, finalement, peu le pratiquent. Ensuite, la drague en ligne est un milieu très compétitif où il ne faut pas s'aliéner les belles prises en affichant des positions dogmatiques: lors de nos enquêtes, nous avons découvert qu'afficher "négociable" à la case "safe sex" était un petit mensonge de plus permettant d'accroître ses chances de trouver Mr Right. Cela n'oblige pas au bareback. Qui a un peu pratiqué Internet sait qu'il est rare que tout ce qu'on y raconte soit vrai.» Et Wim Zuilhof d'analyser: «Les hommes qui étaient mourants il y a quelques années sont plus beaux qu'ils ne l'ont jamais été. Grâce aux multithérapies, la mortalité a chuté. Les séropos sont souvent en forme, musclés, semblent baiser sans fin dans toutes les fêtes qui ont lieu à Amsterdam, prennent plein de drogue et s'affichent sans complexe sur Internet comme barebackers. Le reste de la communauté homo a simplement disparu. Ils sont les derniers à représenter encore un semblant de communauté.»
Ton Coenen renchérit: «C'est un échec collectif majeur. Les Very Efficient Queens se sont chargées un temps de la prévention, mais, aujourd'hui, personne ne s'en soucie vraiment.» Même réflexion chez Wim Zuilhof: «On se moque du Premier ministre Balkenende et de ses "normes et valeurs", mais c'est ce dont la communauté homo amstellodamoise manque. On ne parle pas de respect de soi, des autres, de responsabilité collective. On ne parle que de libertés individuelle.»
Nouvelles mesures de prévention
La presse gay néerlandaise a beaucoup parlé du rôle de certaines drogues dans la prise de risque, mais, selon Leo, un militant spécialiste de la question du bareback, ce lien n'explique pas tout: «Ceux qui pratiquent le bareback après avoir pris du GHB avaient déjà décidé de le faire: la drogue n'a fait que lever leurs inhibitions. Ceux qui ont décidé de rester safe ont réussi, pour la plupart. Par ailleurs, on consomme finalement moins de drogues dures à Amsterdam qu'à Berlin, Paris ou New York. Ce n'est pas un joint de nederwiet ou le poppers ramené clandestinement de Londres qui a fait exploser les contaminations!» Pour Bauke K, organisateur de soirées à Amsterdam, l'usage de nombreuses drogues incite peut-être à prendre des risques, mais c'est surtout la saleté des bars et des clubs qui pose problème: «Se laver les mains est une opération impossible dans la plupart des lieux gay, et, même sans passer par le bareback, promener un doigt de cul en cul est la façon idéale de propager des IST [infections sexuellement transmissibles]. Je ne parle même plus de prévention ou de la possibilité de se procurer des capotes ou du gel: tout le monde sait que ni l'un ni l'autre ne sont plus disponibles dans les établissements depuis longtemps.»
Ces lieux de sociabilité sont le nouveau cheval de bataille de la Schorer Stichting. En accord avec la ville et les services sanitaires, l'association a établi une charte de prévention des IST que les propriétaires des lieux doivent respecter: éclairage suffisant, capotes et gel disponibles, hygiène des lieux, lavabos et savon. Faute de quoi, les autorités fermeront les clubs les uns après les autres, dès le mois de septembre 2005… La Schorer Stichting pense que la suite doit venir des homos eux-mêmes: «On ne peut pas mettre quelqu'un derrière chaque pédé qui baise pour voir si c'est safe ou pas, comme le demandent certains. Ils iront baiser ailleurs, où on contrôlera encore moins.» Même son de cloche à Soa Aids Nederland: «Les associations et les pouvoirs publics ont assez peu de marge de manœuvre. Il y a une résistance croissante aux messages officiels. Cette résistance augmente au sein des populations les plus exposées, en fonction de critères sociologiques ou historiques propres: Antillais, séropositifs de longue durée, Marocains, Turcs…»
Un des points sur lesquels tous les organismes de prévention sont d'accord, c'est le dépistage. Seulement 70% des gays d'Amsterdam connaissent leur statut sérologique. Alors qu'il y a encore quelques mois les patients devaient attendre plusieurs semaines pour obtenir les résultats d'un test (quand les échantillons n'étaient pas perdus), les Amstellodamois peuvent désormais connaître leur statut sérologique en une heure, de façon anonyme et pour 15 euros, au Checkpoint, un centre de dépistage d'Amsterdam, le vendredi soir. Mais Bauke K veut aller plus loin: «Il est évident que la prévention et le bareback sont des problèmes qui dépassent largement le cadre d'un seul pays. On baise pareil à Amsterdam, Berlin, Barcelone ou Paris. Chacun bricole dans son coin alors qu'il faudrait que la prévention soit coordonnée à l'échelle du continent.»
Laurent Chambon

Amsterdam: le VIH en chiffres
Selon une enquête de la Schorer Stichting, l'organisme chargé par l'État néerlandais de la santé des gays et des lesbiennes, 70% des homos amstellodamois connaissent leur statut sérologique; ils sont huit sur dix parmi ceux qui vivent en couple, et six sur dix parmi les célibataires. Cinquante-huit pour cent des hommes qui ne se sont jamais fait tester ont expliqué que c'était par peur de chambouler leur vie ou parce qu'ils n'avaient pas pris de risques. Vingt-deux pour cent des hommes testés à Amsterdam sont séropositifs. Parmi les séropositifs, plus de huit sur dix ont rapporté, toujours dans la même enquête, avoir eu au moins une IST, contre 64% pour les séronégatifs et 39% pour ceux qui ne connaissent pas leur statut sérologique. Plus inquiétant, 54% des séropositifs ont eu des rapports anaux non protégés et 12% ont utilisé du GHB (contre 5% des séronégatifs). Les hommes interrogés sont 52% à avoir consommé du poppers lors de leurs rapports sexuels, entre 17 et 25% du hasch, de l'ecstasy ou du Viagra. Par rapport aux chiffres de 2000, le pourcentage d'homos ayant été dans une situation à risque en 2003 n'a pas augmenté. Cependant, ils sont plus nombreux à avoir déclaré que leurs partenaires sexuels avaient joui dans leur bouche (63%, contre 59% en 2000).

Laurent Chambon

L'information made in Holland…
C'est un ton volontairement familier qu'a choisi la Schorer Stichting, l'organisme chargé par l'État néerlandais de la santé des homos et des bi, pour s'adresser aux gays. Démonstration.
1. «C'est comme ça qu'on attrape une IST». Les homos et les bi qui ont beaucoup de partenaires sexuels ont plus souvent une IST.
2. «Plus d'homos prennent la porte de derrière». Les homos et les bi se sont mis à enculer beaucoup plus ces dernières années, au sein du couple ou en dehors. Plus d'hommes ont ainsi pris le risque de se faire infecter par le VIH.
3. «Un sur six encule son mec». Un homme sur six ayant une relation stable et ouverte a, malgré un accord passé sur le sujet, du sexe anal non protégé en dehors de cette relation.
4. «Toujours plus d'hommes le savent». Le nombre d'hommes qui se font tester a augmenté de 12% depuis 2000. Malgré cela, près de 50% des hommes ne se sont jamais fait tester. Beaucoup ont peur du résultat.
5. «Le VIH, on peut commencer tôt». Les jeunes homos et bi sont moins confrontés au VIH. Ils pratiquent plus souvent le sexe non protégé et disent avoir plus de difficultés à faire l'amour sans risque.
6. «C'est très encombré sur parc.nl». L'utilisation d'Internet chez les hommes homos et bi a augmenté de 40% depuis 2000. Hormis pour chatter ou faire des rencontres, Internet est utilisé pour trouver des informations sur les IST et le VIH.


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