.

dimanche 10 août 2008

Colonie linguistique



La niouze du jour: un élu amstellodamois D66 (centristes libéraux) veut qu'Amsterdam soit officiellement bilingue anglais-néerlandais. Je suis choqué sans l'être vraiment (c'est une idée qui revient régulièrement, que ce soit à l'université ou dans les discussions politiques).
Ce qui me fascine, c'est cette insistance à se vautrer dans une attitude de colonisés vis-à-vis des États-Unis (politique linguistique, choix stratégiques à long terme, atlantisme béat, reprise sans distance des théories managériales et sociales américaines les plus farfelues...), tout en ayant une attitude particulièrement agressive vis-à-vis des autres langues. Le refus de plus en plus poussé d'apprendre l'allemand et le français, la langue des voisins immédiats, montre que cette ouverture aux autres reste limitée au monde pensé comme dominant, alors que la plus grosse partie des échanges économiques des Pays-Bas se fait avec les germanophones et francophones.

J'ai parlé de la campagne de publicité "Ça commence avec la langue" (Het begint met taal), très passive-agressive, qui reproche aux étrangers de ne pas maîtriser l'idiome national tout en leur interdisant de fait de le pratiquer (séparatisme social et utilisation de l'anglais dès que c'est possible au lieu du néerlandais). Je crois que ce fétichisme pour l'anglais n'est que le côté bling-bling d'un même complexe d'infériorité des néerlandais vis-à-vis de leur langue: d'un côté la fascination pour une langue mondiale que tout le monde est sensé comprendre (c'est pourtant encore loin d'être le cas!), de l'autre agressivité à l'encontre des autres langues.
Pourquoi pas une Amsterdam quadrilingue avec le français et l'allemand? Et pourquoi pas aussi le chinois, l'arabe et le russe? Et pourquoi pas la latin? Ou le frison (il y a tellement de Frisons à Amsterdam)?

Ce projet montre aussi l'enthousiasme "moderniste" parfois absurde des élites néerlandaises (voir le livre de James Kennedy "Babylon in aanbouw" dans lequel il décrit le fétichisme des élites néerlandaises pour la modernité), surtout au D66, où il y a beaucoup de gens de qualité qui sont trop souvent prisonniers des modes intellectuelles venues des États-Unis (à commencer par le culte du marché).

Objectivement, est-ce une bonne idée? L'angoisse du D66 est que les touristes ne se retrouvent pas en ville. Déjà, le néerlandais est suffisamment proche de l'anglais pour que les différences ne représentent pas un stress énorme. Par ailleurs, une partie du plaisir d'un voyage est justement d'être confronté à la langue locale. Si encore le néerlandais était écrit dans un alphabet compliqué, je comprendrais, mais là il s'agit de l'alphabet latin, et de la langue germanique probablement la plus proche de l'anglais. Enfin, 99% des Amstellodamois parlent anglais relativement correctement, souvent avec des bases de français, d'allemand et d'espagnol, donc je ne vois pas pourquoi le D66 stresse.
Je pense que si l'on voulait vraiment faire des efforts de communication, il faudrait commencer par simplifier le néerlandais administratif et légal, ce qui permettrait aux nombreux migrants qui n'ont pas un doctorat en littérature néerlandaise de comprendre ce que les différentes administrations attendent d'eux (le langage utilisé est souvent truffé de moyen-âgismes absurdes et de blabla juridique que le Néerlandais moyen de comprend même pas). Aussi pour que leurs amis ou voisins néerlandais puissent éventuellement leur traduire (ce qui est souvent impossible). Et puis, que ce soit dans le métro ou le tram, les logos (interdiction de fumer, par exemple) sont suffisement clairs pour qu'on n'ait pas besoin de les traduire en cinquante langues.

Bref, encore un mémo politique mal préparé. Pourquoi s'embêter à avoir des chercheurs et des spécialistes si c'est pour laisser les politiques sans connaissance aucune du sujet improviser des plans bizarres? Est-ce une manière locale de se profiler comme créatif? Mystère. Je demanderai en septembre à mes collègues libéraux...