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jeudi 29 mai 2008

Énergie



Ces derniers temps, le prix de l'énergie augmente. Cela a incité les marins-pécheurs français à demander au gouvernement de subventionner leur énergie pour qu'ils finissent de piller la mer. Cela n'empêche toujours pas mes parents de se taper un aller-retour à un autre supermarché, à 12 km (donc 24 km aller/retour), pour économiser quelques euros. Cela n'empêche toujours pas les fausses blondes trop riches de se balader en Humvee en ville ou les classes moyennes de déménager dans les polders ou en banlieue lointaine.

J'ai lu pas mal d'articles sur le sujet. La demande d'énergie (surtout fossile) augmente, la production stagne et risque de baisser rapidement. Pire, la pollution et l'effet de serre menace notre survie et celle des autres espèces, végétales et animales, bref notre planète tout entière. Tout va beaucoup plus vite que prévu et risque d'avoir des conséquences très concrètes, même pour les pays riches: tensions sociales, catastrophes naturelles, migrations massives, guerres pour s'approprier les ressources, famines... On parle d'immigration choisie, mais si on ne fait rien ce débat nous semblera complètement absurde d'ici peu de temps.
D'un autre côté, les Cassandres de service exagèrent pas mal. J'ai pu lire que nous devrons renoncer à toute énergie non-animale ou aux communications modernes. C'est absurde. Le problème n'est pas uniquement le fait que nous allons manquer d'énergie si nous continuons ainsi, mais qu'il va falloir faire baisser très fortement notre consommation et que sa production devra être renouvelable et propre. Cela ne veut pas dire que nous devrons abandonner l'énergie solaire, casser tous les barrages électriques ou démonter les éoliennes. Ce n'est pas en tenant des discours extrémistes que l'ont obtiendra des gens des changements.

Concrètement, cela veut dire quoi pour nous, à relativement moyen terme? Tout d'abord, il va falloir isoler correctement nos habitations, de nouveaux matériaux prometteurs sont dévoilés régulièrement, mais certaines traditions (circulation d'eau à la romaine, cheminées à courant d'air iraniennes) pourront enfin remplacer le gaspillage de l'air conditionné. L'éclairage devra être utilisé à bon escient et le remplacement des ampoules à incandescence par des leds une évidence. Il va aussi sûrement devoir nous habituer à vivre moins large (pour certains en tout cas).
Plus important, il va falloir repenser l'aménagement du territoire. Fini les banlieues-dortoir, les maisons isolées à la campagne où habitent des citadins et les embouteillages le matin et le soir. Fini toutes ces bagnoles d'une tonne transportant une seule personne, prenant plein de place et crachant plein de mauvaises choses. Fini l'avion pour aller en vacances chaque année. Il va falloir se mettre aux villes compactes, aux transports en commun, au vélo, au scooter électrique, au train à grande vitesse entre les grandes villes, les trains normaux entre les autres.
Il va falloir réorganiser le travail: télétravail, mais aussi travail délocalisé pas loin de chez soi. On sait faire, on a la technologie, on a juste été trop gâtés pour s'en soucier. Il va falloir y aller mollo sur les fruits et légumes importés. On devra manger beaucoup moins de poisson, en les tous cas moins de poissons carnivores comme le thon. Il va falloir gaspiller beaucoup moins. On va devoir moins manger de viande. On va sûrement devoir repenser notre rapport aux vêtements et à la mode. Peut-être devra-t-on redévelopper les filatures locales qu'on avait démantelées. Pareil pour la sidérurgie, faute de pouvoir transporter à bas coût les équipements lourds.

Moi-même je m'y mets doucement: on n'a pas de voiture, on essaye de prendre le train, le vélo et les transports en commun, on a réduit notre consommation d'objets inutiles, on mange moins de viande et de produits hors-saison. On essaye de recycler les objets, de moins céder aux modes et aux pulsions. Ce n'est pas très difficile. Plus dure est la pression sociale, surtout au travail de Lewis, où la réussite personnelle passe par l'accumulation d'objets et le gaspillage des ressources.

Le plus gros problème, finalement, est politique. Beaucoup de nos élites sont trop privilégiées pour réaliser à quel point il faut d'y mettre maintenant, que c'est presque déjà trop tard. Surtout, leur système de valeurs et leurs privilèges sont en désaccord total avec ce que nous allons devoir réaliser. Croissance, toujours plus, gaspillage, grosses bagnoles, voyages lointains, grosses maisons... J'ai peur qu'elles n'utilisent le manque d'énergie pour accumuler encore plus de pouvoir, de richesses et de privilèges au lieu de faire leur travail et de penser à l'intérêt général. J'ai peur qu'on ne finisse en dictature terrible pour lutter contre les ennemis qu'on s'est fabriqués en refusant de voir la vérité en face à temps. J'ai peur du peuple et des ses réactions primitives quand on va lui annoncer qu'il va gagner beaucoup moins très bientôt, que la viande va être rare et chère, que sa voiture ne vaut plus un clou, que sa maison Kaufman & Brod est une boîte en carton sans valeur aucune qui devra être détruite, et que les objets qu'ils a péniblement accumulés sont déjà obsolètes.

Quand j'entends le gouvernement néerlandais qui veut construire plus de routes, quand je vois qu'au conseil australovicien on veut bien construire des places de parking supplémentaires mais qu'on ne veut pas interdire les terrasses chauffées, quand le peuple réclame qu'on l'aide à gaspiller du pétrole pour pouvoir aller habiter encore plus loin pour avoir un petit jardin, j'ai honte de la classe politique et des syndicats pour ne pas faire leur travail.
Suis-je le seul à penser ainsi?