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mercredi 17 mai 2006

Le masque est tombé, ou comment les Pays-Bas tolérants traitent les réfugiés, par Christine de Vos

Voici le deuxième article réécrit spécialement en français pour les lecteurs de minorites.org par la journaliste indépendante néerlandaise Christine de Vos, dont nous espérons pouvoir proposer d'autres contributions à l'avenir.

Un incendie dans un centre de rétention à Schiphol aéroport novembre dernier a choqué les Pays-Bas. C’est ainsi qu’on traite les immigrés dans le pays renommé libertaire et humain. Incarcérés dans des «centres de départ» ou des «bateaux-prison», sans les soins nécessaires et bien loin des quartiers du centre-ville, le destin des demandeurs d’asile déboutés de leurs droits - désormais étrangers non-désirés - échappe complètement du champ de vision du peuple néerlandais. Il est cependant grand temps d’y faire une visite - pour qu’on ne puisse pas dire : « Wir haben es nicht gewuβt » ("nous ne le savions pas").
Le centre de départ de Ter Apel, tout au nord des Pays-Bas, proche de la frontière allemande, se trouve littéralement au bout du monde. Un long chemin traversant des champs en jachère mène respectivement au centre d’arrivée, centre de départ et le centre de rétention. La voie la plus courte entre point A et point B est la ligne droite. A la fin du chemin, une barrière et une loge. Passeport s’il vous plaît.
La veille, j’ai parlé à Biharbîn, une jolie adolescente de 16 ans et son frère Mehdi, 15 ans. En 5 ans ils ont vu plusieurs centres d’asile, dont celui à Ter Apel. Il y a deux ans, le service d’immigration, l’IND (Service néerlandais de l'immigration) a refusé leur demande d’asile, mais ça ne fait que quelques mois que la famille a été mise au courant. Trop tard pour faire appel. Une grande partie de leur dossier a disparu. Ils ont beaucoup de courage de me raconter leur histoire. La ministre Rita Verdonk a menacé de publier les dossiers de ceux qui osent rechercher la presse, afin d‘exercer son « droit de réponse »

Dans la rue, mais plus dans les statistiques
Retourner n’est pas une option pour la famille. L’Ambassade de Syrie n’a pas voulu fournir les papiers nécessaires. La mère des enfants a contacté son frère en Syrie pour qu’il les aide. « Mais mon oncle n’ose pas », dit Biharbîn, « il ne veut pas mettre en danger ma tante et mes cousins. Il peut avoir des graves problèmes à cause de nous ». L’expulsion est impossible, comme pour beaucoup d’autres réfugiés. Le mois de janvier, ils sont mis à la rue: les ados, leurs parents et leur petite sœur Jînê de 7 ans. Toujours aux Pays-Bas mais plus dans les statistiques et c’est ça qui compte : cinq personnes en moins sur le grand total de 26.000 ‘déboutés’. Pour le moment ils habitent une petite chambre auprès d’une fondation caritative.
L’ancien dépôt de l’OTAN respire la gloire passée : bâtiments écaillés, des mauvaises herbes partout. Le haut grillage, des gardiens et l’obligation de se présenter deux fois par jour rappellent encore au passé militaire. Dans une petite cuisine de la baraque qu’elle habite avec son mari et leurs quatre enfants, Achlam, une Palestinienne du Liban, prépare des galettes salées. Sa petite fille de neuf ans pique mon cahier. « Je m’appelle Amani et je suis contente que tu sois là. Mais pour quoi tu n’as pas amené ma copine Jînê ? », écrit-elle sans faute. Après 5 ans, la famille a enfin obtenu son statut de réfugié.

Famille en menottes
« Nous étions en fin de nos droits d’asile », raconte Achlam, « et l’IND nous a renvoyés au Maroc. Comment ça, renvoyé ? Je ne suis pas marocaine. » Les autorités marocaines renvoyaient la famille tout de suite aux Pays-Bas. « Nous avons obtenu notre permis de séjour, parce qu’on ne savait pas quoi faire avec nous. » Le permis est issu pour 5 ans, mais peut être révoqué à chaque moment.
D’habitude on reste 9 semaines dans le centre avant être envoyé en prison - les familles – enfants inclus - dans le « bateau-prison » de Rotterdam et les célibataires en prison Ter Apel. L’IND assure que ce sont que des personnes qui ne collaborent pas à leur retour où ceux avec des antécédents criminels qui sont incarcérés. « Ah bon ? » réagit Biharbîn violemment « Ils ont envoyé toute une famille en prison à Rotterdam. Dans une camionnette à barreaux. Tout le monde en menottes, même le petit garçon de deux ans. Explique-moi quels sont ses antécédents criminels à lui! »
« Tu sais, Ibrahim est en taule », dit Amani sans sourciller, comme si c’était la chose la plus normale au monde. Pourtant, Ibrahim, un Kurde syrien âgé de 30 ans, était le grand ami des enfants. C’était lui qui organisait la manifestation à laquelle tous les habitants du campement participaient. « On a beaucoup bossé » dit Mehdi, « on a fait des banderoles et tout » Biharbîn interrompt : « On avait un permis de la mairie. Nous avions placé les petits à la tête du cortège, pour que les habitants voient qu’il y a aussi des enfants dans le centre. Mais avant la ville, la police en cheval nous a arrêté. Mais on avait le droit de manifester. Ils n’oseraient pas faire pareil avec des néerlandais, j’en suis sûre ! » La petite Jînê interrompre : « Le cheval avait peur, il se cabrait. » « Pff », réagit Mehdi, « Pas possible ! Les chevaux de police sont super bien entraînés. » « Shht ! » dit Biharbîn. Rien de cette histoire n’est paru dans les journaux. La police a bien étouffé l’affaire en bloquant toutes les rues autour de Ter Apel.

Aller-simple en taule
Je rends visite à Ibrahim. Pas de droit d’amener des magazines ou de la nourriture, ni même des cigarettes. « Nous les coupons en petits bouts pour voir s’il y a de la contrebande dedans » déclare le gardien. Les morceaux seront mis de côté pour Ibrahim pour quand il sort de la prison. On n’est pas bien méchant.
Le détecteur de métaux se déclenche trois fois. Je dois laisser mes chaussures, ma ceinture et la monnaie que je portais pour au moins pouvoir offrir Ibrahim un café de l’automatique. Deux portes en métal qui s’ouvrent une à la fois séparent l’entrée de la salle de visite. Ibrahim n’est pas du tout le costaud qu’on m’a décrit. Il a un regard terne. Ses mains tremblent sans cesse. Trois mois enfermé ici l’ont brisé. « Je n’ai même pas volé un seul bonbon dans ma vie. Pourtant, je suis ici. » Ibrahim ne sait pas ce qui va lui arriver ou quand. L’IND n’a pas pu obtenir son laisser-passer, mais a eu la gentillesse de transmettre le dossier d’Ibrahim à l’ambassade de Syrie et a même donné la permission au personnel de l’ambassade de l’interroger. Ibrahim est sûr que retourner en Syrie signifie un aller-simple en taule. «Demander l’asile est considéré comme trahison dans mon pays. »
Faire une demande d’asile - ou même se trouver sur sol néerlandais sans les papier nécessaires - n’est pas un crime selon la loi néerlandaise. Pourtant, les déboutés sont traités de la même façon que les criminels dans l’établissement. Promenade d’une heure par jour, enfermé à partir de 17 heures, le dimanche à 15 heures. « Les criminels ont même plus de droits que nous. », dit Ibrahim, « Eux, au moins savent quand ils sortiront d’ici. »Ibrahim raconte l’histoire de son voisin. « Il était malade et hurlait et tapait sur la porte, complètement paniqué. Personne n’est venu le voir, le gardien a du penser qu’il faisait exprès, pour l’embêter. Le lendemain on l’a trouvé mort. Il était diabètique. » Mais est-ce qu’il n’y a pas de médecin ? « Si, mais il ne prescrit que du paracétamol. Dépressif ? Paracétamol ! Diabète ? Paracétamol ! Tu t’es coupé un jambe ? Paracétamol !» Ibrahim rit sans joie.

« Tu aurais du épouser une Afghane »
Ibrahim est devenu amer. «Si on me donnait un permis demain, je ne resterais pas. J’en ai marre de ce pays. Tu n’imagines pas la haine qui s’est accumulée ne moi. Je voulais reconstruire ma vie ici, mais là je n’en peux plus. » Hier, la jeune Biharbîn a dit la même chose. « Les gens ne veulent pas de moi. »
Le lendemain Ibrahim m’appelle: pour s’excuser de ses mots forts. J’ai du mal à lui faire comprendre que ce n’est pas à lui de s’excuser.
Je suis de retour chez Achlam qui me talonne avec des anecdotes : de Timur, un Afghane marié à une Russe, refusé dans les deux pays. « Et que dit l’IND ? T’aurais du épouser une Afghane ! » Amina, une belle palestinienne de 18 ans entre dans la baraque avec une assiette de dolmades. « Ma mère avait été convoquée pour un entretien de départ. En même temps, ma petite sœur et moi avions été arrêtées. On nous a jetées dans une camionnette de police et amenées ici. La police n’a pas pu trouver mon petit frère de 14 ans, il a disparu. A part nous, personne ne le cherche. Pour la police et l’IND, il n’est pas un enfant disparu, mais « parti pour une destination inconnue. »
Entre temps, après plus de 5 mois d’emprisonnement, Ibrahim est simplement mis à la rue. Il est toujours aux Pays-Bas, aidé par la communauté kurde. Son avocate a fait appel en déclarant que l’IND a mis la vie de Ibrahim en danger en exposant son cas aux autorités syriennes. La famille de Biharbîn a changé de foyer plusieurs fois. Elle aussi attend des nouvelles de son avocat, mais n’ose plus espérer.
Christine de Vos
http://www.minorites.org/article.php?IDA=16272