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lundi 31 juillet 2006

Sept façons de perdre son objectivité

Pourquoi ne puis-je m'empêcher d'espérer qu'Israël ait raison dans le conflit israélo-libanais alors que tout le monde autour de moi fustigue l'Etat hébreu. Pourquoi mon coeur a-t-il des tendances sionistes alors que mon cerveau défend les Libanais et les Palestiniens?
1. Tout d'abord, bien que goy, ma famille a toujours été sioniste. Mon père a passé quelques mois fabuleux dans des kiboutz israéliens dans les années 60 (probablement beaucoup de sexe), et ma mère, socialiste, n'avait aucun mal à choisir un parti travailliste israélien relativement démocratique contre des partis baasistes arabes autoritaires voire crypto-fascistes.
2. Ensuite, les Français se sentent incroyablement coupables de la Shoah. Avec raison, d'ailleurs: l'appareil d'Etat français a collaboré activement au meutre de Juifs, français ou pas, par les Nazis. Comme avec l'Algérie, la culpabilité est mauvaise conseillère, et la France, pourtant pro-arabe, s'est laissé dépasser par les plus extrémistes des über-sionistes arabophobes.
3. Par ailleurs, Israël a toujours montré une violence étatique extrême, ce qui n'est pas pour déplaire aux Français confrontés depuis plusieurs siècles à un Etat absolu et violent: violence technologique de Tsahal, violence physique, symbolique et psychologique des services secrets, logique de revanche implaccable, militarisation de la vie civile... Par ailleurs, le mixité de Tsahal (relative) et son côté démocratique (tout le monde y participe, sauf les méchants orthodoxes) n'est pas pour déplaire aux Français épris d'égalité.
4. Ensuite, même si la France est traditionellement pro-arabe, elle est aussi pro-israélienne par occidentalisme. On parle souvent de la seule démocratie au Moyen-Orient (ce qui est d'ailleurs très discutable), on insiste sur les gens à moitié nus sur les plages de Tel Aviv, à comparer aux femmes voilées du monde arabe (comme si la nudité était une preuve de civilisation!). Il ne faut pas négliger les liens génétiques et culturels entre Israël et l'Occident: Israël est un produit humain, économique, technologique, culturel et politique de l'Occident, qu'on le veuille ou pas. Cela ne veut pas dire que les Arabes sont nos ennemis: Bagdad et Beirouth sont les deux capitales culturelles du monde arabe mais aussi des villes essentielles pour l'humanité. Mais on l'oublie car les liens ne sont pas aussi évident qu'avec Israël.
5. Par ailleurs, cela a l'air superficiel mais cela a son importance: beaucoup d'Israéliens qu'on voit à la télé, surtout des soldats, sont beaux. On ne voit jamais les orthodoxes dégénérés en uniforme, on voit des hommes et des femmes jeunes, beaux et intelligents. C'est dur de ne pas les admirer.
6. Autre détail, superficiel lui aussi, est la beauté plastique de l'alphabet hébreu moderne. L'alphabet arabe est lui aussi très beau, mais est plein de volutes et de courbes. L'alphabet hébreu est un rêve de designer: carré, beyond abstrait, avec quelques signes arrondis pour beaucoup de signes carrés. La façon dont les télévisions israéliennes jouent avec les polices de caractère est fascinante: comme en japonais, on voit une ultramodernité radicalement semblable et différente à la fois, incompréhensible, mais tellement évidente et proche.
7. Enfin, Israël est très efficace dans sa façon de se vendre correctement aux média occidentaux. On ne voit jamais des hordes en armes hurlant dans la rue et dressant les enfants à crier "mort au Liban", on ne voit pas de posters kitsch avec des citations du talmud avec un mauvais effet Photoshop sur un collage de combattants mal rasés aux yeux hagards. Non, on a un communicateur professionel qui parle la langue du pays, bien rasé, qui parle de réponse graduée, de confinement du terrorisme, d'auto-défense. L'image ultra-moderne et technologiquement correcte qu'Israël sait donner d'elle-même alors que les milices et partis arabes se font filmer à hurler et tirer en l'air nous fait forcément douter de notre engagement pro-palestinien ou pro-libanais. L'emballage nous fait souvent acheter le mauvais produit.

Bref, j'ai honte de ce qui se passe au nom de l'Occident au Liban. Justement parce que je baigne dans une culture européenne progressiste et humaniste qui a voulu le respect et la sécurité pour l'Etat hébreu au nom de ces valeurs.

vendredi 28 juillet 2006

Fin peu glorieuse pour la LPF

Si la LPF est morte, la droite nationaliste et xénophobe est bien vivante. la LPF est morte, vive Geert Wilders?

Le parti politique Leefbaar Nederland (Pays-Bas vivables) va cesser définitivement d’exister, annoncent plusieurs journaux. Le parti qui, en 2002, voulait secouer la politique néerlandaise avec Pim Fortuyn est criblé de dettes. "Il serait absurde de vouloir continuer", selon son président, Fons Zinken. "C’est la fin."
Leefbaar Nederland, après avoir rompu avec le charismatique Fortuyn en 2002, a tout de même réussi à obtenir deux sièges à la Deuxième Chambre, mais les a de nouveau perdus en 2003. Les bonzes du parti, Jan Nagel, Broos Schnetz, Henk Westbroek et Willem van Kooten, l’avaient déjà quitté à ce moment-là. La plupart des membres ont rapidement suivi le mouvement de défection. "Nous avons encore cinq membres payants en ce moment", dit Zinken. "Ils font tous partie de la direction du parti."
La cause directe de la dissolution de Leefbaar Nederland est une réclamation du ministère de l’Intérieur. Celui-ci exige le remboursement de 108 000 euros de subvention versés en 2003, alors que le parti n’avait plus le nombre de membres payants requis pour y avoir droit (NRC Handelsblad d’hier soir pp.1 et 3, de Volkskrant p.3).
"Le parti qui s’est dissous hier a effectivement tourné les sangs à l’establishment politique à l’automne 2001, avec Pim Fortuyn comme figure de proue", rappelle l’éditorialiste du Volkskrant. "Fortuyn a exploité une question cruciale que l’on avait soigneusement tenue à l’écart de l’agenda haguenois : l’échec de l’intégration à la société néerlandaise des immigrés non occidentaux."

Lien: http://www.ambafrance.nl/article.php?id_article=7546

jeudi 27 juillet 2006

Pas encore de Le Pen néerlandais aux prochaines législatives

L'extrême droite n'arrive donc pas à se rassembler. N'est pas Le Pen qui veut.... Lui seul a pour l'instant à peu près réussi à rassembler ultracathos, néonazis homophobes, homos pro-nazis, ultraconservateurs américanophiles, anti-américains de droite, païens, poujadistes, Juifs anti-arabes, Arabes antisémites, Blaques colonialistes, racistes de base, vichystes, nostalgiques de l'empire, amis de Saddam, militaires autoritaires, ex-membres de l'OAS, jeunes crétins blancs et villiéristes sous son aile. Un talent rare...

"On se bouscule sur le flanc droit du spectre politique", remarque le Volkskrant (p.2) dans un article de fond signé Raoul du Pré. "Tant de partis et de mouvements sollicitent les électeurs que ceux-commencent à s’y perdre."
"Il y a quatre ans, les fortuynistes se sont mis en garde les uns les autres : conjuguons nos efforts et évitons de nous fragmenter. Mais quatre mois avant les élections du 22 novembre il n’y a guère d’unité. Geert Wilders, Marco Pastors, Michiel Smit et la tête de liste de la nouvelle LPF, qu’il faut encore nommer, se feront concurrence sur les bulletins de vote. Leurs ego et des divergences d’opinion sur le fond les empêchent de coopérer. ’L’effritement total est un fait’, selon le sondeur d’opinion Maurice de Hond. ’Ils auront très peu de voix’."
"De tous les nouveaux venus à droite le député indépendant Geert Wilders est le plus avancé dans ses préparatifs pour les élections. Il a un nom (Partij voor de Vrijheid), une tête de liste (lui-même), une équipe de campagne, une liste de candidats qu’il présentera prochainement et selon certains sondeurs d’opinion un potentiel de sept à dix sièges à la Deuxième Chambre. De plus, l’idéologie de Wilders, dans laquelle dominent le conservatisme culturel et le maintien de l’identité néerlandaise, est déjà très élaborée."

"Rita Verdonk aurait pu recueillir beaucoup de suffrages à droite. Mais maintenant qu’elle reste au sein du VVD, les voix des électeurs qui ne veulent pas de Bos comme premier ministre iront plutôt à Balkenende."
"L’ancien ministre Hilbrand Nawijn ne deviendra pas tête de liste de la Liste Pim Fortuyn (LPF)", précise le même Volkskrant dans un encarté. "’Ce ne sera pas lui’, selon le président du parti, Bert Snel. Il dit qu’il a un autre candidat en vue, qui est meilleur et surtout plus jeune. Snel veut faire connaître le nom du nouveau leader dans quelques semaines."

Lien: http://www.ambafrance.nl/article.php?id_article=7545

Agressé à Riga, l'adjoint Herrema invite les Lettons à la Gay pride

"La démocratie a perdu deux fois en Lettonie. Une première fois avec l'interdiction de la Gay pride, et une deuxième quand la police n'a rien fait contre l'agression des activistes gay". C'est ce qu'a déclaré l'adjoint amstellodamois à l'émancipation de retour de Riga, et lui même couvert d'oeufs et d'excréments par les néonazis lettons, le travailliste Tjeerd Herrema.
Surpris par l'incompétence du gouvernement letton et de la ville de Riga, la mairie d'Amsterdam a officiellement invité les responsables lettons à venir suivre un cours d'émancipation. Les deux villes sont jumelées et Herrema compte bien profiter de ce jumelage pour faire avancer la cause gay: "Aucun politicien letton ne cherche à faire avancer la cause gay. Ni au niveau national, ni au niveau municipal. Pire: ils ont régulièrement fait des déclarations qui ont attisé la haine homophobe".
Amsterdam, où a eu lieu le premier mariage entre personnes du même sexe en 2001, tient à défendre son rang de 'capitale gay' en promouvant l'émanciation de tous, en particulier des homos. Herrema: "Nous avons invité nos collègues à la Gay Pride (le 5 août, NdlR). Pour montrer aux dirigeants de Riga ce qui est possible".
Alors que le parlement letton a retiré l'interdiction de discrimination envers les homos du nouveau droit du travail, Herrema espère que la question va être réglée au niveau européen: "L'UE n'est pas un supermarché où on prend seulement ce qui nous plaît. La Lettonie ne peut pas seulement profiter des avantages économiques de l'Europe et laisser de côté les questions sociales". Outre l'invitation, une demande d'explications sur la passivité de la police a été envoyée à Riga: "Il ne peut y avoir d'Europe ouverte et tolérante sans villes ouvertes et tolérantes".
http://www.tetu.com/rubrique/infos/infos_detail.php?id_news=9918

Se marier au café

On ne sait pas si le public visé est celui des piliers de bars ou les amateurs de symboles forts: il est désormais possible de se marier avec son partenaire du même sexe (ou de sexe différent, d'ailleurs) au café Stonewall... non pas à New York, mais à Enschede, à l'est des Pays-Bas. Et le mariage est officiel!
http://www.tetu.com/rubrique/infos/infos_detail.php?id_news=9910

lundi 24 juillet 2006

Croissance pour qui?

En ce moment, on n'arrête pas d'entendre que l'économie va mieux et que la vie de tout le monde va s'améliorer. Plus on le dit, plus on va finir par y croire. Pourtant, aux Pays-Bas et à Amsterdam en particulier, il ne s'agit que d'indicateurs partiels et de court terme...

- Selon les estimations glânées ici et là, seuls les plus riches vont vraiment profiter de l'embellie économique, qui ne se traduit pas par un baisse du chômage pour les classes moyennes et inférieures, et encore moins par des augmentations de leur pouvoir d'achat. Les emplois créés pour ces classes sont loin de satisfaire les besoins de gens, car beaucoup sont des emplois précaires. Le gouvernement et une partie de la classe politique semble se contenter de bonnes nouvelles et oublie que la transformation d'une embellie pour les plus riches en emplois solides pour les autres demande beaucoup de volonté.

- Une grande partie des richesses accumulées ces dernières années aux Pays-Bas sont, d'une part, le fruit du travail des européens invités pendant les années 1990 (et qui sont pour beaucoup partis ailleurs) dont les fruits ont été cueillis par les financiers et les managers hollandais, et de l'autre un phénomène purement financier et spéculatif. Je ne suis pas un productiviste soviétique, mais une économie saine ne peut pas être basée uniquement sur des positions managériales ou l'envolée des prix de l'immobilier: il faut aussi fournir des produits, des services, inventer des choses, et pas seulement gérer. Sur le court terme beaucoup de gens bien placés s'enrichissent, mais sur le long terme, si le marché libre existe vraiment, ce n'est pas une économie viable.

- Beaucoup pensent que l'augmentation du prix des maisons montre que les Néerlandais sont devenus plus riches. Ce n'est pas vrai. Tout d'abord, les loyers sont devenus tellement absurdes qu'il est désormais plus rentable d'acheter une maison que la louer, même dans le social. Ensuite, l'explosion de la durée des emprunts (on les appelle "hypotheek" en néerlandais, par ue glissement sémantique révélateur: la maison ne vous apparetient jamais vraiment) a surtout eu comme conséquence que les prix ont augmenté, sans que le marché ne s'ouvre vraiment. Il y a pénurie de logements, et permettre à tous d'emprunter plus, c'est juste s'assurer que les prix augmentent.
Enfin, l'augmentation du prix de la pierre est un phénomène général en occident qui a lieu même si l'économie ne va pas si bien: l'économie française de brille pas par son dynamisme, et les prix augmentent tout de même.

La solution? Ah, si j'en avais une. La première est de s'assurer que les différences salariales ne deviennent pas trop obscènes. La deuxième serait de favoriser la création de richesse réelle et ne pas trop encourrager le bricolage spéculatif (financier, organisationnel et immobilier). La troisième serait de réellement inverstir dans une économie de la connaissance. Cela commence par une éducation généraliste de qualité, car la connaissance n'est pas uniquement l'électronique: sans designers, Apple n'aurait jamais aussi bien vendu son disque dur à mp3. Enfin, il faudrait penser à long terme. Pas 2 ou 5 ans, mais 20 ou 30.
Les libéraux du VVD sont très bons à se vendre comme source d'inspiration (et de liberté) quand on parle économie. C'est très souvent du vent. Et les autres partis sont tout intimidés par leur assurance et les suivent sans trop se poser de questions. Le capitalisme est certes le seul régime viable quand il faut que les individuent créent de la richesse, mais cela ne veut pas dire que l'ultralibéralisme (qui d'ailleurs déteste le marché et préfère la voie du plus fort) doit devenir dictature.
La campagne électorale va bientôt commencer. J'espère que mon parti, le PvdA, viendra avec quelque chose de plus consistant qu'une version "sociale" du programme du VVD.

lundi 17 juillet 2006

Des fonctionnaires fonctionnant mal?

Depuis quelques jours, les Pays-Bas s'interrogent sur le Bos-En-Lommerplein, cette place toute nouvelle sensée renouveler et dynamiser un quartier à problème, et qui a été évacuhée depuis qu'elle menace de s'effondrer. On a beaucoup entendu parler du marché des travaux publics construisant à perte, de l'absence (légalisée) de tout maître d'oeuvre, des économies réalisées en oubliant la qualité... Mais, ce qui m'a le plus frappé, c'est l'éditorial de Felix Rottenberg (photo) dans Het Parool. Il y raconte le combat épique du maire d'un autre arrondissement, Ahmet Marcouch, contre ses hauts fonctionnaires: face à une machine bureaucratique très territoriale et convaincue de sa supériorité, il est réduit à l'impuissance administrative et politique. Rottenberg nous rappelle que ces fonctionnaires, très très bien payés, sont en vacances et injoignables alors même qu'un quartier entier est évacué et sinistré, et que le besoin de coordination et de management se fait vraiment sentir.

Hier, en visitant le festival multiculturel du Kwakoe à Bijlmer (je recommande!), on en a parlé avec Rachid Jamari: dans d'autres cadres, en particulier celui de l'intégration des allochtones, les fonctionnaires amstellodamois font preuve d'une méconnaissance des dossiers assez saisissante, et surtout d'une paraisse intellectuelle vraiment fascinante. La plupart ne sont pas amstellodamois, et la Hollande provinciale blanche hétérosexuelle chrétienne y est plus que sur-représentée. Et ce n'est pas un hasard.
Mon expérience personnelle des fonctionnaires amstellodamois est mitigée: dans mon arrondissement, les quelques contacts que j'ai pu avoir avec eux (en tant qu'élu) se sont bien passés. Par contre, en tant que citoyen, c'est plutôt à une bureaucratie rigide, xénophobe et autiste que j'ai eu affaire. Le fait que j'avais un accent les agaçait, et le fait que je n'arrive pas à penser comme eux à 100% les rendait fous.
Ce n'est pas un hasard si un des thèmes porteurs lancés par Pim Fortuyn était le poids de la bureaucratie. Ce n'est pas non plus un hasard si ce thème n'a été repris par personne: la bureaucratie néerlandaise est puissante, et la critiquer a des coûts. Se mettre a dos ses fonctionnaire peut coûter cher à un ministre ou un maire. C'est d'ailleurs une forme de contre-pouvoir qui, en soi, est saine, puisqu'elle évite de se jeter sans réfléchir dans des politiques hasardeuses (voir: la résistance de certains fonctionnaires aux directives xénophobes de Rita Verdonk). Cependant, le fait que, comme en France avec les énarques, la plupart des hauts fonctionnaires amstellodamois ignorent la vie des vrais habitants et leur façon de penser me pose vraiment un problème.

samedi 15 juillet 2006

Analyse psychiatrique

J'ai discuté hier avec une amie psychiatre. Très intéressant. Je lui ai demandé si j'étais vraiment hyperactif. "Je ne pense pas, t'es toujours assi à m'écouter depuis une demi heure". Elle m'a montré le chien, qui zappait de personne en personne, complètement excité, bavant sur tout le monde et courant comme un dératé: "ça, c'est hyperactif". Case closed, comme dit Lewis.
On a beaucoup parlé politique, et elle est venue avec une explication intéressante au cas Hirsi Ali: "cette femme est vraiment bordeline". D'après elle, sa capacité à se mettre au centre de tout, de se prendre pour une icône et une grande penseuse, tout on ne produisant rien, ses manipulations continuelles, son besoin de s'entourer de faire-valoir, ses mensonges continuels, son insensibilité, son manque d'empathie à la limite de la psychopatie... tout cela indique la présemption d'une personnalité bordeline.
Une anecdote était, selon elle, révélatrice. Dans le documentaire de Zembla qui a causé tant de vagues, on la voit dans un dîner avec des amis, dont son mec du moment. Le journaliste lui demande comment elle se voit se réveiller dans le futur. Elle dit "je vois ma thèse à côté de moi". Sympa pour son mec. Et, révélateur selon notre psy, de son égocentrisme extrême et son manque de chaleur humaine.

La question qui me taraude, c'est comment le VVD a pu s'enticher d'une telle créature. J'espère qu'un jour quelqu'un retracera dans un bouquin comment une telle femme a pu avoir un tel ascendant sur les Pays-Bas...

vendredi 14 juillet 2006

Financer ses études

Dans le Parool d'hier, Bart Tromp (photo) parle du nouveau projet du leader travailliste, Wouter Bos, de forcer les diplômés à financer les prêts qui seront accordés aux étudiants. L'idée est que, comme les étudiants coûtent cher mais bénéficient d'un salaire supérieur à ceux qui n'ont pas fait d'études, ils doivent financer eux-même leurs études avec des prêts dont le remboursement s'adapte à leur salaire. Le point de départ des conseillers de Bos est que les pauvres qui n'étudient pas financent les études des riches qui vont étudier aux frais de l'Etat néerlandais.

L'agrument de Tromp est que produire des diplômés profite certes aux étudiants eux-mêmes, mais aussi à la société en général, car cela crée de la richesse. Par ailleurs, à travers leurs impôts (d'autant plus élevés que leur salaire est conséquent), les ex-étudiants remboursent largement ce que l'Etat a pu investir pour les éduquer. Enfin, et il s'agit là d'un argument essentiel selon moi, la peur de la dette risque de décourager beaucoup de jeunes (et leur famille) à aller faire des études supérieures. Il est donc contre le système proposé par Bos.
Je n'ai pas fait toutes mes études aux Pays-Bas, mais j'ai suffisement vu comment ça se passait à l'université pour en tirer quelques remarques:

- si mes parents avaient dû s'endetter (ou moi-même) pour me payer mes études (ils me payaient déjà la nourriture et le logement, certes spartiates mais cela n'était pas rien), jamais je n'aurais étudié. Les expériences familiales avec les dettes et les emprunts ont créé un précédent extrêmement défavorable, et je ne suis pas le seul.

- Si l'Occident reste très riche, c'est avant tout grâce à son avance technologique. Cette avance ne s'est obtenue (et ne se conservera) qu'à travers une éducation aussi poussée que possible pour tous.

- Le problème de l'université, ce n'est pas qu'il y a trop de riches, c'est qu'ils n'y a pas assez d'étudiants issus des classes défavorisées. Leur imposer un emprunt va les dissuader encore plus de se lancer dans des études, surtout si elles ne rapportent pas à court terme (choisir donc force de vente au lieu de la physique nucléaire ou les études médiévales).

- A l'université néerlandaise, il y a deux probèmes principaux: 1°) le fait que les étudiants sont trop focalisés sur les petits boulots qui leur permettent de survivre, et n'ont pas le temps ni l'énergie d'étudier. Une bourse bien ciblée ferait gagner du temps et de l'argent à tout le monde. 2°) L'investissement des universités se fait beaucoup trop sur des critères financiers et de court terme. Au lieu de garder ses assistants et d'en faire des prof, elle les transforme en esclaves précaires et investit dans de beaux bâtiments et des ordinateurs. ce qui fait une université, c'est surtout ses enseignants, ses étudiants et ce qui y est enseigné, par le luxe d'une cafétaria ou l'écran plat dernier cri que les étudiants peuvent utiliser.

Tout cela demande une remise en cause de la logique individualiste et comptable de l'enseignement. On en est loin, car les comptables sont au pouvoir. Enseigner, ça coûte cher, c'est vrai, et ça ne rapporte pas à court terme. Mais finalement tout le monde en profite. Mais peut-être est-ce une vision trop socialiste pour Wouter Bos et ses conseillers?

jeudi 13 juillet 2006

Auf Deutsch...

Je viens de recevoir une revue germanophone, Inamo (Informationsprojekt Naher and Mittlerer Osten, n°46), sur le thème "Islam, Ausgrenzung, Integration" avec la traduction de l'entretien/article (c'est officiellement un entretien mais comme l'essentiel est tiré d'un article que j'ai écrit, je ne sais pas si ça s'appelle encore un entretien) pour la revue de l'ISIM. Le titre: "Islamisierung der Unruhen in Frankreich".
Dès que je reçois le texte par email, je le mets dans ma pages Textes.

Un extrait de l'intro: "In dem Interview spricht der französische Soziologe Laurent Chambon über seine persönliche und professionele Auseinandersetzung mit diesem Aufständer und die aktuelle soziale und politische Lage in den französischen Banlieues und die französische Gesellschaft im Allgemein. Laurent Chambon wurde 1972 im französische Châtenay-Malabry geboren. Er verbrachte seine Kindheit und Jugend in einem ethnisch gemischten Stadtviertel und erinnert seine Jungend als eine glückliche Zeit. Ungeachtet ihres ethnischen oder religiösen Hintergrundes betrachteten er und seine Freunde sich als Franzosen." C'est-y pas chic quand c'est en allemand, hein?

Même pendant les vacances ça chauffe à La Haye

Même pendant les vacances il s'en passe des choses: on espère tous que Verdonk va devoir prendre sa responsabilité dans la mort des demandeurs d'asile à l'aéroport (elle a ensuite déclaré que s'ils sont mort, c'est avant tout parce qu'ils étaient en situation irrégulière... quelle façon curieuse de présenter les choses), et la campagne commence doucement.
On aura donc un duel PvdA / CDA, avec le VVD et le SP en partis d'appoint. Cela s'annonce intéressant, surtout quand certains au SP me traitent de collabo parce que je suis au PvdA (j'imagine l'état des discussions au sein du SP!).
Dans la presse néerlandaise...

Verdonk
Un nouvel orage politique attend la ministre Verdonk (Immigration)", affirme le Telegraaf dans son grand article à la une. "Selon des sources haguenoises, ’la chasse à la ministre sera ouverte’ lorsque le rapport sur l’incendie de Schiphol, qu’on attendait avec impatience, sera publié. Un projet du rapport de l’Onderzoeksraad voor Veiligheid [conseil de recherche sur la sécurité] présidé par Me Pieter van Vollenhoven circule depuis quelque temps en cercle très restreint, dans divers ministères. Les conclusions auraient effrayé la direction du ministère de la Justice."
"L’Onderzoeksraad, dans son projet de texte, critique vivement la gestion de l’incendie du centre de détention de Schiphol, dans lequel onze étrangers arrêtés ont trouvé la mort fin octobre 2005. Une relation des faits montre que la Justice a commis de graves erreurs dans le cadre de cette catastrophe. Le Service national des bâtiments publics, la police et les pompiers font aussi l’objet de critiques."
"Bien que le rapport ne chapitre pas directement les ministres responsables Donner (Justice) et Verdonk, ils risquent tout de même d’avoir des problèmes. La ministre VVD Verdonk, surtout, s’était dépêchée après le drame de clamer que le personnel et les services d’aide avaient agi de façon adéquate lors de l’incendie de Schiphol. Le rapport brosse un autre tableau."
"L’incendie de Schiphol pourrait de ce fait devenir une nouvelle affaire comme celle du passeport d’Ayaan Hirsi Ali. Dans cette question aussi Verdonk a réagi rapidement, en disant que l’ex-députée, en raison de mensonges, n’avait jamais reçu la nationalité néerlandaise." "Finalement, le gouvernement est tombé à cause de cette affaire."
"Selon le service d’information du gouvernement Rijksvoorlichtingsdienst, le rapport sera publié en septembre. La Justice n’a pas voulu réagir hier soir."

Elections législatives
"Le leader PvdA Bos se prépare pour une course au finish avec le chef de file CDA Balkenende pour le portefeuille de premier ministre", relève le Volkskrant (p.2). "C’est ce que Bos a dit mercredi lors d’une réunion de parti à Amsterdam. Le leader PvdA a appelé ses collègues de parti à travailler ’d’arrache-pied’ les prochains mois. Selon Bos, c’est la seule manière de gagner les élections législatives du 22 novembre."
"Faute d’autres candidats, Bos, depuis cette semaine, est officiellement la tête de liste du PvdA. Cette situation prévaut aussi au CDA, où Balkenende est la tête de liste."
"Selon Bos, le premier ministre actuel, les quatre dernières années, a apporté au pays ’querelles, confrontations et conflits’. Bos veut se profiler comme un homme ’d’union, de coopération et de neutralisation des contradictions’."
"Les sondages d’opinion laissent prévoir un duel passionnant entre Bos et Balkenende. Le PvdA est toujours le parti le plus populaire, mais le CDA remonte rapidement depuis quelques semaines."
"Etait-ce une astucieuse manœuvre stratégique de Jan Marijnissen ou tout simplement une gaffe ?" s’interroge le Trouw (p.4). "En tout cas le leader du SP a surpris tout le monde en flirtant avec le CDA."
"Le SP n’exclut pas d’entrer dans un gouvernement avec le CDA et le PvdA, a dit Marijnissen lundi soir, dans une interview radiophonique. Le parti a immédiatement été submergé de réactions de sa propre base. Pourquoi Marijnissen est-il ouvert au CDA, ce ’parti de droite avide de pouvoir’ ? Marijnissen a donné une explication sur son weblog. ’Le SP a toujours été ouvert à la coopération avec (presque) tous les partis. Il exclut uniquement le VVD et la LPF, à cause de ’grandes’ différence au niveau des programmes. Et ’bien sûr’, il préfère un gouvernement de gauche. Mais une coalition avec le CDA doit être possible, affirme Marijnissen, bien que le CDA doive alors devenir ’plus chrétien-social’. Ces explications n’ont pas servi à grand-chose. Rares étaient ceux qui manifestaient de la compréhension pour la manœuvre ’stratégique’ de Marijnissen."
"Au CDA et au PvdA on a surtout haussé les épaules. Les deux grands partis n’ont absolument pas besoin du SP pour former une coalition majoritaire. Et il est douteux que le SP, dans un tel gouvernement, puisse être un facteur de cohésion comme le D66 l’a été pendant des années."

Lien: http://www.ambafrance.nl/article.php?id_article=7473

Gentilé pour OZ?

Le gentilé de certaines villes internationales est connu de tous: amstellodamois, new-yorkais (écrit aussi 'nouillorquais' dans certains romans), bostonien, madrilène, lisboète, moscovite...
Mais que fait-on quand on parle d'une petite ville peu connue, ou pire encore, d'un arrondissement amstellodamois? La place d'Oud Zuid dans mon blogue est forcément assez importante, aussi me faut-il forger un gentilé correct pour ne pas avoir à écrire continuellement "les habitants d'Amsterdam Oud Zuid" ou le ... "d'Amsterdam Oud Zuid".

Voici une petite liste des possibilités, en jouant sur Sud/Midi/Austral, Vieux et Amsterdam:
- Amstelloméridional/Amstelloméridionale(s)/Amstelloméridionaux
- Vieux-Méridional/le/aux
- Vieux-Sudiste/s
- Midivieillain/ne/s
- Amstellovicien/ne/s
- Amstellosudiste/s
- Méridiamstellodamois/e/s
- Vieillosudiste/s
- Midivétiste/s
- Australovicien/ne/s (un de mes préférés)

Suggestions bienvenues, natuurlijk...

mercredi 12 juillet 2006

Nouveau site des Nieuwe Amsterdammers

Après de nombreuses aventures informatiques, le nouveau site des Nieuwe Amsterdammers (j'ai conçu le design et Babozor a assuré toute la partie technique) devrait être officiellement mis en ligne très bientôt. Dès ce soir si tout va bien, sinon cela devra attendre encore un jour ou deux. Il reste encore des traductions à paufiner, le forum à stabiliser, et un problème avec les apostrophes à régler (chaque apostrophe génère des antislahs à la pelle).
On y trouvera de nombreux articles à lire en plusieurs langues, des informations sur les activités des DNA, mais aussi le programme des débats et un forum autour de ces débats.
Le premier débat est programé pour septembre.
Excitant, nan?
Le lien: http://www.denieuweamsterdammers.org/
Dès que le site est prêt, le drapeau sera remplacé par l'accueil du nouveau site... il fonctionne avec le système Blogozor, pour qui nous faisons office de rat de laboratoire.

mardi 11 juillet 2006

Légitimité électorale

Le "nouveau" gouvernement néerlandais (Balkenende III) continue donc à régner comme si de rien n'était: on continue jusqu'aux élections fin novembre, et la scandaleuse et irresponsable Rita Verdonk reste ministre.
Cet aveuglement est d'autant plus fascinant que Balkenende n'a apparement aucune autorité sur la ministre de l'intégration: elle en fait à sa tête, ment au Parlement, oblige Ayaan Hirsi Ali à s'excuser de fautes qu'elle n'a pas commises, et si elle exige des autres la vérité et le respect des règles, le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle est loin d'exiger d'elle-même de dire la vérité et de respecter les règles. Le scandale Hirsi Ali a éclaté parce que Verdonk a pris des décisions trop rapidement sans en référer au Premier ministre, le gouvernement est tombé parce que Verdonk a menti et a forcé Hirsi Ali à mentir si elle voulait récupérer son passeport (abus de pouvoir, chantage, mensonge envers le Parlement), et un gouvernement minoritaire sans aucune légitimité électorale continue, avec Verdonk impunie et même draguée par les cadres du VVD qui ont tellement peur qu'elle emporte ses voix xénophobes (je n'utilise plus le erme populiste depuis que Collovald en a démonté les ressorts) ailleurs.

Hier j'ai été appelé par le représentant du Labour Party britannique (l'autre parti travailliste) aux Pays-Bas, très émotionnel, qui a cru entendre que le représentant du parti travailliste néerlandais à la Chambre avait demandé à ce que non seulement Verdonk maintienne sa loi sur l'intégration, mais qu'elle l'étende à TOUS les allochtones, en particulier les citoyens européens. Je n'ai pas encore réussi à voir si c'est vrai ou pas.
Verdonk fait parti de ces gens toxiques qui, quoi qu'ils fassent, pourrissent la vie de tout le monde. Dans la vie de tous les jours, on conseille aux gens de limiter les contacts avec les gens toxiques. En politique, c'est plus difficile. Le VVD a mal sélectionné ses candidats-ministres. Qu'il en paye de prix. Jusqu'à maintenant, on le fait payer aux allochtones. C'est d'une injustice révoltante. Surtout quand un tel gouvernement n'a aucune légitimité politique ou électorale. C'est doublement injuste.

De ce point de vue, les Pays-Bas commencent donc à ressembler de plus en plus à la France de Chirac: des élections qui débouchent sur des résultats absurdes, un gouvernement qui est maintenu contre vents et marées, des ministres arrogants, insultants et incompétents, une rue en colère, des classes inférieures et des minorités qui souffrent inutilement, et surtout cette horrible impression d'impuissance: quoi qu'il arrive, les incapables et les diviseurs sont aux manettes.

dimanche 9 juillet 2006

Encore un blogue kreukreuscopique!

Ah, je ne suis plus seul, après Me In Amsterdam, je viens de découvrir un autre blogue kreukreuscopique: http://annevickycarlier.blogspot.com/
C'est bilingue et plutôt intéressant... Bonne lecture!

Le "populisme" du Front National

L'analyse d'Annie Collovald est intéressante parce qu'elle délégitimise l'idée d'un support "populaire" du parti d'extrême-droite, en montrant qu'il s'agit d'un parti transclassiste, mais aussi parce qu'il offre un outil intéressant dans la compréhension des nouveaux mouvements politiques néerlandais, qui jouent sur les mêmes registres politiques que le Front National et sont commentés de la même façon: révolte du bas peuple, voix des exclus, etc...

Le « populisme du FN » un dangereux contresens [1]

A travers cet ouvrage, Annie Collovald a voulu déconstruire et remettre en cause le terme de « populisme » qui sert aujourd’hui d’explication au succès électoral du Front national. L’auteure retrace l’histoire de ce mot et les raisons de son utilisation récente en science politique pour qualifier le Front national. C’est Pierre-André Taguieff qui importe le concept des Etats-unis dans les années 1980, issu des débats sur la Nouvelle droite américaine, pour l’appliquer au FN. Ce sont ensuite des historiens du temps présent qui s’emparent de ce mot. Car, lorsqu’apparaît le FN sur le devant de la scène électorale en 1984, on parle d’extrême droite, de fascime, mais pas de populisme. Or ces historiens défendent l’idée que le fascisme n’a jamais existé en France, même dans les années 1930. Ils ont donc voulu démontrer qu’avec le FN on n’aurait pas du tout affaire à du fascisme, mais à du populisme, avec Boulanger et Poujade comme principaux ancêtres de Jean-Marie Le Pen.
« Or ce sont des leaders ratés qui ne sont restés en politique que deux ou trois ans ; c’est donc une manière de rassurer, de dire que les précédents du FN n’ont pas réussi à s’implanter. Bien sûr, il vont être démenti dans le cours du temps mais ça ne va pas les empêcher de continuer de dire que le FN c’est du populisme » [2].
Puis, c’est une partie de la science politique, celle dont l’objet d’étude porte sur les élections, qui va s’emparer du terme : « le FN c’est du populisme, la preuve c’est qu’il rassemble très majoritairement les classes populaires » [3]. Enfin, au cours des années 1990, « le terme va s’imposer et devenir l’explication classique et dominante de ce qu’est le Front national » [4]. La définition actuelle du « populisme » est « une “ solution autoritaire ” via le pouvoir charismatique d’un leader et son “ appel au peuple ”, le tout s’accomplissant par delà toutes les médiations établies et contre les élites en place » (p. 46). Or « avant le FN, le terme existait, dans les années 1970, dans trois secteurs d’interprétation politique : 1. la sociologie des intellectuels et de la culture, 2. une science politique s’intéressant aux pays du tiers monde en voie de libération, 3. au sein de l’extrême gauche qui reprenait à son compte la définition de Lénine contre les populistes. Ce qui est intéressant à voir, c’est qu’à ce moment-là le populisme, s’il accuse, s’il stigmatise, stigmatise non pas le peuple mais les élites, intellectuelles et politiques. C’est à dire que les populistes auraient été ceux qui manipuleraient les images, les intérêts du peuple contre le peuple. Donc, dans le cours du temps, ils s’est opérée une inversion de la signification du mot populisme puisque maintenant on n’évoque jamais les élites intellectuelles et politiques, mais le peuple ». Il s’est en effet produit un déclin des partis censés représenter les classes populaires, une transformation politique, à gauche, dans le discours mais aussi dans le recrutement.
« Avec le populisme, les classes populaires ne sont plus une cause à défendre mais un problème à résoudre » [5].
Un autre problème de taille avec ce terme de « populisme » est qu’il euphémise l’injure, le terme est beaucoup moins stigmatisant que « fascisme » ou « extrême droite ». A tel point que le FN ne se gène pas pour se réapproprier le terme et se dire fièrement un parti « populiste ». Ce mot change également le regard porté sur le FN. En effet, dans les années 1980, on s’intéressait à Le Pen mais aussi à son équipe (Stirbois et d’autres) et à ses militants. « Avec le populisme, la focale change, on s’intéresse juste à Jean-Marie Le Pen et à ses électeurs » [6]. « Populisme » est un terme qui, à la fois, classe le FN et donne une interprétation des raisons de son succès. De plus, « [une formulation abstraite du populisme] “ désidéologise ” le populisme au moment même où le FN connaît une forte radicalisation idéologique donnant à voir dans une version de son programme rédigée par B. Mégret en 1996 une conception de la Nation focalisée sur le sang et l’ethnie (ce dont la direction frontiste s’était toujours défendue officiellement de partager), revendiquant des auteurs comme Julius Evola, notamment son ouvrage Le Fascisme vu de droite.
Elle se substitue au label d’extrême droite au moment où, plus qu’en 1981, le FN rassemble tous les mouvements d’extrême droite en France (même les anciens réfractaires comme Nouvelle Résistance, le Parti national républicain, etc., se sont ralliés). Elle dirige l’attention vers les groupes populaires alors que s’intensifient les stratégies en direction des élites politiques et intellectuelles, que ce soit grâce aux différents postes électifs occupés au niveau municipal, cantonal, régional et européen ou par la mise en place de réseaux de relations par clubs de pensée interposés (songeons au Club de l’Horloge). Elle insiste sur la démagogie (les liens directs entre le leader et ses “ supporters ”) alors que s’amplifie un travail d’implantation systématique dans des catégories professionnelles ciblées (police, transport, santé) et sous la forme de clubs ou de syndicats. Non seulement le “ populisme ” efface les pratiques et les stratégies politiques que le FN adopte, mais il offre à celui-ci une identité bien plus respectable dans le discrédit que le label de fascisme ou d’extrême droite qui le qualifiait précédemment. En effet, en insistant sur la diabolisation dont serait l’objet le FN quand des mobilisations s’effectuent contre lui au nom de son fascisme ou de son racisme, est occultée la considérable euphémisation que connaît l’identité politique prêtée au FN quand il est rangé parmi les “ populismes ” et non plus classé parmi les extrêmes droites ou les fascismes. Euphémisation qui se double d’une légitimation inattendue lorsqu’il devient le “ parti anti-partis ”, celui qui répondrait mieux que les autres à la “ demande d’autorité ” formulée par le “ peuple ”. » (pp. 112-113)
Un autre point important décrypté par Annie Collovald est la question de la fabrication des sondages ainsi que l’analyse des scores électoraux du FN. Les analyses électorales, si elles n’emploient pas toutes le terme de « populisme », en réemploient les présupposés (un mouvement de mécontents qui protestent face à la crise sociale, le « vote protestataire »).
Ce seraient donc les classes populaires qui votent FN et ce vote est compris comme une adhésion aux thèses du FN. Bien entendu, il ne s’agit pas pour Annie Collovald de dire que les classes populaires ne votent pas pour le FN, mais elles ne sont pas les seules et pas autant qu’on le dit. Si l’on prend l’exemple des analyses de la présidentielles de 2002, plusieurs problèmes se posent. Ces analyses ont notamment exprimé un fort racisme social (« les largués, les paumés, les incultes, les ignarres »...) et même de la part des savants, « les jugements sociaux l’ont emporté sur l’analyse sociologique de ce qui s’était produit » [7]. Ainsi, des sondages sortis des urnes affirmaient : « 31 ou 33% des ouvriers auraient voté FN avec l’équation les sans-diplôme, les sans-revenu ont une propension à voter FN. A l’inverse, l’intelligence, la culture, les diplômes protègent d’un vote FN ; jugements normatifs violents comme si l’intelligence, la culture nous protégeait d’une adhésion idéologique à un parti politique ! » [8]
Si l’on prend les derniers résultats avancés, toujours pour 2002, sur les votants, 23% d’ouvriers ont voté pour le FN, mais aussi 22% des agriculteurs, 22% des artisans, petits commerçants et environ 20% des professions libérales et cadres suppérieurs. Or les analyses affirment que le FN est le premier parti ouvrier en France. On voit bien qu’on a affaire à un électorat hétérogène, alors pourquoi se focaliser sur les ouvriers plutôt que sur les petits patrons ? D’autre part ces chiffres n’englobent jamais ceux de l’abstention or c’est bien l’abstention qui est le premier « parti ouvrier de France ». Quant aux sondages ils posent eux-aussi toute une série de questions concernant leur fiabilité. La principale est que le sondage porte sur des déclarations et non sur des pratiques effectives, comme si l’on disait ce qu’on fait et qu’on faisait ce qu’on dit... Ou encore, que dire des catégories sociales choisies, dans les sondages comme dans les analyses électorales : « Que représente exactement la catégorie d’ouvriers quand les différents groupes qui la composent ne se sont jamais répartis de façon identique selon les goûts, les attitudes et les comportements électoraux ? Quand tout sépare les contremaîtres (moins dominés que les autres dans leur travail et leur vie quotidienne, plus qualifiés et votant plus à droite) des ouvriers qualifiés, des ouvriers spécialisés, des manœuvres (votant plus à gauche) ? Quand ces différents sous-groupes se subdivisent encore selon les entreprises où ils sont employés, le type de métier qui est le leur, leur statut et leurs revenus ? Non seulement le rapport au travail n’est pas le même et varie selon la profession et selon les conditions d’exercice de la profession mais le type de diplôme et la valeur de celui-ci changent également. » (pp. 122-123) A travers ce travail rigoureux, Annie Collovald rappelle combien sont dangereux les jugements à l’emporte-pièce et les notions vides de sens, d’autant plus quand il s’agit du FN. Un livre complexe, indispensable à tous les antifascistes.

Source:
http://www.legrandsoir.info/article.php3?id_article=2712
Notes:
[1] COLLOVALD A., Le « populisme du FN » un dangereux contresens, Editions du Croquant, coll. Savoir /Agir, 2004, 256 p., 12 €. Annie Collovald est maître de conférence en science politique, université Paris X-Nanterre, membre du LASP-CNRS (Laboratoire d’analyse des systèmes politiques).
[2] Entretien avec Annie Collovald lors de l’émission Les oreilles loin du front (Fréquence Paris Plurielle 106.3, tous les mercredi de 19h à 20h30) du 19 janvier 2005. On peut écouter cet entretien sur le site http://loldf.free.fr
[3] Idem.
[4] Idem.
[5] Idem.
[6] Idem.
[7] Idem.
[8] Idem.
[9] PIERRU E., Guerre aux chômeurs ou guerre au chômage, Editions du Croquant, coll. Savoir /Agir, 2005, 224 p., 12 €. Emmanuel Pierru est sociologue, chargé de recherche au CNRS (CERAPS à Lille), membre de l’association Raisons d’Agir.

Max Gallo me fait vomir

Hier je suis allé fêter la victoire de Tanguy Le Breton et sa charmante colistière à l'élection du Conseil des Français de l'étranger (une liste post-partite qui veut promouvoir l'intégration des Français aux Pays-Bas, et non leur ségrégation au nom d'une supériorité mythique de la culture française). La plupart des Français amstellodamois se connaissent de vue mais nous sommes loin de former une communauté. La diversité qui nous caractérise (raciale, sexuelle, identitaire) est un de mes seuls motifs de fierté. J'y rencontre un micro-breton tout petit, d'une soixantaine d'années, qui tout de suite se croit mon ami parce que ma mère est née à Douarnenez. Même si j'ai réussi à l'éviter la plupart du temps, il finit par se rapprocher et vouloir me lire des passages inspirés du nouveau livre de Max Gallo, "Fier d'être français". Le titre me fait vomir, et les extraits qu'il me lit sont, au mieux incompréhesibles, au pire d'un nationalisme chaotique et ringard qui me donne la chair de poule. Tout est mélangé, les amalgames maladroits et malhonnêtes sont révoltants, et le thème de son livre est loin d'être clair. Nationalisme borné? Néoracisme colonial? Révisionnisme crypto-catholique?
Trouver un livre en français à Amsterdam qui ne soit ni Le petit prince, ni un dictionnaire est une activité à plein temps. Aussi décidé-je d'utiliser internet pour voir si c'est moi qui ai des réactions allergiques mal placées ou si c'est Max Gallo qui nous fait une crise de réaction.
A ma grande surprise, un grande partie de la presse loue le "courage" de l'historien officiel des présidents français (oui, oui, comme dans une dictature), qui "ose" dire ce que tout le monde pense tout bas.
Les arguments déployés me rappellent pourquoi j'ai eu tant de plaisir à quitter la France: élite parisienne prétentieuse et gallocentrée, monde intellectuel officiel stérile et ethnocentriste, néoraciste et/ou néocolonial, homophobie, islamophobie, négrophobie, mysogynie, catholicisme militant et mauvaise foi intellectuelle.
Tout le monde critique les Indigènes de la république, mais dans ce cas précis ce sont les seuls à avoir trouvé un contre-poison: la francitude que je revendique est critique, s'est construite dans la lutte contre l'Eglise catholique, le nationalisme bas du front, le racisme colonial, dans son combat pour la rigueur intellectuelle, l'esprit critique et un universalisme ouvert et généreux, et surtout un sens aigu de la valeur des cultures empruntées qui nous ont permis de ne pas se retrouver prisonnier de la pensée officielle. Bref, moi aussi je suis fier de n'être pas Max Gallo.

Fier de n’être pas Max Gallo
Max Gallo n’aime pas les Noirs, les Arabes et les musulmans. Il déteste ceux qui, parmi nous, refusent d’être traités comme des indigènes. Ou plutôt, il nous craint. Crainte et mépris, comme souvent. Dans un récent pamphlet politique, un opuscule haineux intitulé « Fier d’être français », il nous livre un concentré de la pensée nationale-républicaine contemporaine.

« ... qu’un sang impur abreuve nos sillons. » / lundi 3 juillet 2006
par Sadri Khiari

Sans surprise on y retrouve les mêmes stéréotypes, les mêmes amalgames et les mêmes raccourcis racistes et islamophobes que propagent tant d’autres néo-conservateurs, de droite comme de gauche : Finkielkraut, Fourest, Adler, Taguieff, Henri-Levy, Imbert, Val... Nous serions par nature/culture sexistes, communautaristes, fanatiques, violents. Surtout : nous sommes le nouvel envahisseur. « Dix millions de personnes », au cœur de la « France », nés pour détruire la « France ». Dix millions ? Oui. Sans doute, tous ceux qui ne sont pas à la fois blancs et chrétiens. Ils veulent, répète-t-il de manière obsessionnel, « niquer la France » ! « Et qu’on ne dise pas qu’il ne s’agit-là que des paroles anodines d’une chanson ! » [1] Car les mots sont assassins ; ils anticipent ; ils accompagnent la guerre et cette guerre « ethnique - et même religieuse » [2] (il emprunte les mots de Finkielkraut) a commencé en automne dernier dans les banlieues : « Ce sont les premiers chocs des lames dégainées que l’on a entendus, en octobre et novembre 2005, au cours de ces émeutes urbaines sur lesquelles on a bien vite jeté le manteau de l’oubli en les nommant « troubles sociaux », en niant leur dimension ethnique - et même religieuse -, en masquant le fait qu’elles annonçaient le risque de « balkanisation » de la nation » [3]. La « rébellion » des « citoyens français de souche récente » qui dégainent leurs « lames » comme au bon vieux temps des croisades, a « déjà commencé » [4] ! Bigre !

Max Gallo (MG) s’inquiète certes de l’influence délétère de « l’hypermarché mondial », de la trop grande puissance américaine, des risques de dissolution de la « France » dans l’Europe, mais le véritable danger, c’est NOUS ! S’il fallait en douter, sa récente déclaration d’allégeance au libéral, pro-américain et européen Sarkozy le confirme. Si De Villier avait plus de chances de l’emporter en 2007, MG aurait soutenu De Villier. Les vendéens catholiques font partie de l’« Histoire de France » républicaine, les Sarazins, que nous sommes, assurément pas. Voilà ce qu’il écrit : « On ne pourrait donc écouter en 2007 que celui ou celle qui expliquerait que loin d’être obsolètes, les principes du modèle national - ceux autour desquels la France, depuis en effet plus d’un millénaire, s’est rassemblée - sont des orientations efficaces pour l’avenir. Celui qui dirait que l’histoire de ce pays ne commence pas en 1789, 1981 ou 2007, mais qu’il y a continuité - monarchie, république, révolte, répression... - et qu’ainsi s’est tissée la trame » [5] de la « Nation française » qu’indigènes des banlieues, Noirs, Arabes et musulmans, s’acharnent aujourd’hui à déchirer.

Car, la crise française, explique MG, n’est pas sociale ; elle n’est pas due à l’ampleur des inégalités et des discriminations ; elle n’a pas de rapports avec le racisme poscolonial. Ou alors très secondairement. La crise est d’abord NATIONALE. Elle est due à la trahison des « élites », leur capitulation, leur lâcheté, leur renoncement à guerroyer contre ce nouvel ennemi de « 10 millions » de personnes : NOUS ! Nous, les fourbes, habiles à nous présenter comme des victimes alors que nous sommes les futurs oppresseurs de la « France » !

La lâcheté des « élites » serait le talon d’Achille de la « France » : alors que celle-ci est menacée de déflagration, les « élites », qui ont perdu l’amour de la Nation, se dérobent : « La France meurt de ne plus compter assez de patriotes » [6]. La « France » est composé, selon MG, d’un bon petit peuple - qui vote Le Pen parce qu’il reconnaît en lui la volonté de défendre la Nation - et d’une « élite » qui capitule. NOUS, nous sommes EN « France » mais EN-DEHORS de la « France ». La crise NATIONALE, c’est la crise du patriotisme français (des « vrais Français », bien sûr), consécutive au cosmopolitisme des « élites » qui fonde leur impuissance depuis les années 30 face à tous les envahisseurs dont... NOUS.

Alors que la Première guerre mondiale, explique MG, a vu l’ensemble des Français faire bloc pour sauver la « France », les décennies suivantes sont marquées par le renoncement et la capitulation. Capitulation de la plupart des « élites » face à l’envahisseur nazi, capitulation des communistes face à l’URSS, capitulation face aux mouvements de libération nationale dans les colonies. « Ce pays se meurt, écrit-il, ce pays s’enfonce depuis plusieurs décennies dans une crise nationale de longue durée commencée dès les années trente du XXè siècle. Elle a connu deux moments paroxystiques. En 1940, quand tous les rouages de l’Etat se sont brisés, quand la nation a été avilie (...). En 1950-60, quand l’Empire colonial se défait dans l’humiliation - Diên Biên Phu -, dans l’abandon des siens - les harkis, les pieds-noirs [7]-, et qu’une République s’effondre. » [8] Le « redressement gaullien » n’a été que précaire, regrette-t-il. Car, aujourd’hui, les « élites » capitulent à nouveau. Elles capitulent face à... NOUS ! Nous, les indigènes dont il voit l’incarnation politique dans le CRAN, le Mouvement des indigènes de la république - c’est trop d’honneur ! - et dans la révolte des quartiers. Nous sommes les derniers des envahisseurs mais aussi les plus dangereux : « Mais si le moment que nous vivons en ce début du XXIè siècle était plus dangereux encore pour la France que les années trente et quarante ? » [9]. Rien de moins !

Pourquoi les habitants des quartiers qui ont brûlé des voitures, le CRAN, les Indigènes de la république seraient-ils plus dangereux que les troupes nazies, plus graves que la dislocation de l’Empire colonial ? MG nous donne la réponse : parce que les autres menaçaient le « système politique » alors que NOUS nous menaçons la « problématique centrale » de « l’histoire nationale » [10], l’Esprit de la « France » ! Autrement dit, parce que nous sommes Noirs, Arabes et musulmans alors que les précédents « ennemis » de la France avaient au moins l’avantage d’être blancs et chrétiens ! L’Allemagne avait « juste » occupé le territoire de la « France », les peuples colonisés s’en étaient séparés et l’avaient « humilié », NOUS, au sein même de l’Hexagone, nous menaçons l’« Etre » de la « France », son « âme » ! Nous voudrions lui imposer l’islam alors que « nous sommes quelques millions de citoyens, écrit MG, à ne pas vouloir que notre culture s’imprègne de cette culture-là ! » [11]. Car, ajoute-t-il, la « France » ne saurait être « un patchwork de culture qui s’ajoutent et se juxtaposent et où l’une s’impose bientôt aux autres » [12], oubliant au passage que la France a toujours été multiculturelle et multilinguiste jusqu’à ce que la IIIè République parachève autoritairement la domination d’une culture et d’une langue sur les autres.

Mais, de toute évidence, au-delà de la défense de l’âme française, ce qui préoccupe MG, c’est la domination blanche et chrétienne. L’Europe elle-même, s’inquiète-t-il, serait menacée par NOUS de « balkanisation ». Par crainte de l’islam, MG pourrait bien dans un avenir proche étendre son nationalisme français à un « nationalisme » européen et mettre de côté ses réserves actuelles face à l’unification européenne. Si, revêtant sa soutane, il remonte en amont des moments fondateurs de la république, pour se revendiquer de l’histoire chrétienne de la France, ce n’est pas par bigoterie religieuse mais parce que l’Eglise a été l’un des instruments de la domination blanche que lui semble mettre en péril les populations musulmanes. Si son nationalisme français tend désormais à englober l’ensemble de l’Europe et bientôt sans doute l’Amérique, c’est parce que le monde blanc lui paraît menacé par sa périphérie colorée. Le nationalisme français de Max Gallo n’est en vérité qu’une expression combinée du racisme colonial et de l’impérialisme blanc. « Fier d’être français », c’est la traduction franchouillarde de « La guerre des civilisations » [13].

La « France » dont il est fier, c’est la « France » comme étendard de la domination blanche et chrétienne, sa pointe avancée. C’est aussi la République et les Lumières, mais en tant seulement qu’elles ont porté la domination blanche et chrétienne, qu’elles ont continué, affirmé, étendu la domination blanche et chrétienne. MG annexe en passant la tradition juive, en reprenant l’imposture d’une « civilisation judéo-chrétienne » [14], mais ce n’est que pour mieux défendre la blanche chrétienté. Aussi antinomique que cela puisse paraître à première vue pour qui ignore les paradoxes cyniques de la politique coloniale [15], MG est un nationaliste laïc croisé.

L’âme de la « France » : l’arrogance

Revenons donc, pour étayer cette affirmation, sur ce qu’il appelle la « France ». Cela nous permettra aussi de justifier pourquoi depuis le début de ce texte, ce mot a été constamment mis entre guillemets.

MG s’offusque que les « Procureurs », les « Juges », les « arbitres » partiaux qui trahissent la « Nation française », assimilent l’« Histoire nationale » à une succession de crimes et autres abominations. L’essence de la « France », selon ces infâmes renégats qui capitulent devant les enfants de colonisés, serait le Mal. A cette « France » dénigrée et honnie, il n’oppose pas - il aurait du mal ! - une « France » pure et immaculée mais une « France » avec ses ombres et ses lumières, ayant commis des crimes, certes, mais beaucoup de bonnes choses aussi. On pourrait croire ainsi qu’en historien, il ramène la « France » à de plus modestes dimensions, simple produit de l’histoire humaine, avec un début et - que Dieu nous en préserve ! - une probable fin. Non. Il essentialise à sa manière la « France ». Cette « France », malgré son histoire complexe, faite du pire et du meilleur, il faudrait l’aimer, l’aimer en bloc, sans droit d’inventaire ; il faudrait l’adorer comme on adore un dieu, parce qu’au-delà de ses crimes, transcendant son histoire concrète, elle incarnerait un « Etre national », un « Esprit », une « âme ». Cette « âme », c’est la chrétienté continuée par les Lumières et la République (laïque) qui en fait le joyau, l’avant-garde de l’Occident. Et c’est pourquoi MG se méfie de ceux qui se contentent de se réclamer de la République : en amont de la République, il y aurait déjà la nation, l’« âme » de la France préexiste à la République.

Gaulliste, bien entendu comme tous les hommes de droite même quand ils sont de gauche, il cite le fondateur de la Vè République : « Pour moi, l’Histoire de France commence avec Clovis, choisi comme roi de France par la tribu des Francs qui donnèrent leur nom à la France. (...) Mon pays est un pays chrétien et je commence à compter l’Histoire de France à partir de l’accession d’un roi chrétien qui porte le nom des Francs. » [16]. La France est « fille aînée de l’Eglise » répète-t-il avec orgueil, regrettant que « La France chrétienne ne serait plus qu’un souvenir qui s’efface » et « que s’impose la France multiculturelle où l’Etat doit aider l’islam à occuper toute sa place ! » [17]. MG remonte plus loin encore que le Général dans la généalogie de la « France » : « Notre histoire, de Saint Martin qui partage son manteau et incarne la charité, à Clovis qui, roi baptisé, ne confond pas ses pouvoirs avec ceux de l’Eglise, d’Héloïse la grande aimante d’Abélard, à Jeanne la Pucelle qui sauve le royaume, de cette place centrale occupée par les femmes dans l’histoire de notre sensibilité et de notre politique (Sic !), à l’Etat unifié, aux philosophes de la liberté du siècle des Lumières, à Rousseau, Voltaire, Diderot, aux droits de l’homme, au souffle de Hugo, à la laïcité, nous avons beaucoup donné d’élans au monde. Nous pouvons en être fiers. » [18]. Il ajoute plus loin : « Ces principes républicains universalistes représentent un considérable saut libérateur. Ils ont surgi non pas seulement du siècle des Lumières, mais de cette civilisation judéo-chrétienne qui forme, en effet, le socle de notre histoire culturelle et de notre histoire nationale » [19].

Arrogance ! Lecture fantaisiste de l’histoire ! Merci la « France » mais on vous a rien demandé, dit l’indigène.

Mais c’est autre chose qu’il faut souligner. Car, on peut admettre qu’en France, comme dans d’autres pays, il y a eu des luttes populaires contre l’oppression dont nous pouvons tous nous revendiquer. Ce n’est pas cependant ce que dit MG. Pour lui, la « France » est une essence dont le destin est d’apporter la lumière au monde. Citant encore De Gaulle, il écrit : « La France n’est réellement elle-même qu’au premier rang (...). Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans la grandeur » [20]. Cette « France » existerait indépendamment même des peuples concrets qui ont vécu dans son « territoire » (dont MG oublie qu’il n’a pas toujours été ce qu’il est ni a fortiori un véritable « territoire » commun). Ou plutôt, car il faut bien qu’une âme s’incarne dans un corps et que le corps que sollicite MG se reconnaisse dans l’âme qu’il lui octroie, le peuple français (le vrai, pas celui qui est « de souche récente ») n’est autre que ce peuple petit bourgeois chauvin que nous présentent tous les stéréotypes bonapartistes et fascistes. C’est le Gaulois individualiste, irascible, grognon, bagarreur, replié sur lui-même, en butte à la menace étrangère, lâche et pourtant héroïque quand il le faut ; c’est le gaulois que donne à voir les album d’Astérix ; c’est le paysan, le petit propriétaire, le villageois, le provincial conservateur, tranquille si on le laisse tranquille, prêt à mordre si on bouscule son train train quotidien. La « vrai France, répète MG avec Fernand Braudel, (c’est) la France en réserve, la France profonde » [21] ; c’est la « France », qui n’aime pas qu’on lui brûle sa voiture ; c’est la « France » qui vote Le Pen. On peut se demander comment un tel peuple peut être le réceptacle de l’âme divine de la « France ». Toujours citant De Gaulle, MG répond : la « France » doit être grande ; elle doit être la première des nations parce que « seules les vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de division que son peuple porte en lui-même, que notre pays, tel qu’il est parmi les autres tels qu’ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit » [22]. Pour exister en tant que peuple, surmonter sa dispersion et son goût immodéré pour la zizanie, il faudrait au peuple français un dessein supérieur et un héros qui l’incarne. A condition, bien sûr, de neutraliser la lâcheté de ses « élites » et de tous les corps intermédiaires qui obstruent la relation directe entre le peuple et son chef.

L’« histoire nationale » : du toc !

MG reprend ainsi tous les mythes systématisés, généralisés, institutionnalisés par la IIIè République, la république nationale par excellence, la république coloniale par excellence. Seule différence notable avec l’histoire fabriquée par la IIIè République, l’accent mis par MG sur la chrétienté et la continuité entre celle-ci et la république. Il est vrai que la IIIè République avait un compte à régler avec l’Eglise alors que MG se fait son champion contre l’islam... Mais il est vrai aussi que cette même IIIè République n’a jamais hésité à utiliser les congrégations religieuses catholiques pour étendre son empire coloniale !

Si l’idée de « nation » au sens moderne du terme, comme Etat-nation-territoire, remonte à la Révolution française, c’est bien la IIIè République qui a inventé l’ « identité française » et fabriqué cette Histoire de France à laquelle nous devrions adhérer tel un dogme sacré. Comme l’écrit justement Suzanne Citron, « quand en 1880, la IIIème République est définitivement installée, la France est encore à 70 % rurale, semée de villages centrés sur eux-mêmes, en majorité non francophones. Les Pères de la République veulent inculquer à cette France des campagnes, des villages, des diversités linguistiques et coutumières, leur idée de la nation une, indivisible, abstraite, en même temps que susciter l’adhésion au régime républicain, tel qu’ils le pensent et l’incarnent. A côté du service militaire devenu obligatoire pour les hommes, c’est d’abord à l’école qu’est assigné l’impératif de façonner l’identité nationale, de créer de nouveaux français, patriotes et respectueux du nouvel ordre. [ » [23]

Une Histoire de France est alors construite mêlant à la réalité historique quantité de mythes destinés à conforter l’idée d’une nation française homogène et unifiée depuis des millénaires. Il était parfaitement incongru et criminel d’obliger les enfants de colonisés ou issus de l’immigration à ingurgiter la fameuse formule « nos ancêtres étaient les Gaulois » ; il était tout aussi absurde, cependant, de l’enseigner aux autres écoliers français. La Gaule au sens « républicain » du terme n’a jamais existé, rappelle encore Suzanne Citron : « Gallia est le nom par lequel César désigna l’espace géographique qu’il voulait conquérir entre Atlantique et Rhin, espace qui jamais dans les siècles de présence romaine ne fut une entité administrative unique. » [24]. C’est seulement au XVIè siècle qu’apparaît progressivement le mythe des Gaulois comme « ancêtre » de tous les peuples de la France actuel, un mythe qui sera repris et développé au cours du XIXè siècle pour être finalement institutionnalisé et propagé par la IIIè République alors que sera occulté l’histoire propre des différents territoires qui ont plus tard constitué la France - la notion de « royaume de France » est d’ailleurs absente des textes jusqu’au XIIIè siècle et elle ne désigne pas ce que l’on entend aujourd’hui par France. Seront également jetés aux oubliettes les multiples peuples, la diversité des langues, cultures et religions qui ont fait de la France ce qu’elle est devenue.

Conçue par la Révolution - non sans ambivalences - comme une nation de citoyens, la nation française repose désormais sur l’ethnicisation du « peuple français » et le dogme d’un destin messianique réalisé à travers les formes politiques qui se seraient succédées dans l’ « histoire nationale » [25].

Parallèlement et de manière complémentaire à cette construction racialiste, la IIIè République élabore l’idée d’une « mission civilisatrice » justifiant l’expansion coloniale et le traitement raciste des colonisés.

Tout cela MG, l’historien, le sait mieux que quiconque. Il sait de même que cette histoire officielle prend l’eau de toute part malgré l’effort de certains historiens d’en colmater les brèches [26] et la volonté de réhabiliter la colonisation qu’a exprimé la loi du 23 février 2005 [27]. Alors, pourquoi MG, le politique, s’obstine-t-il à mentir ? En fait, MG ne demande pas de croire véridique cette « histoire nationale » ; il demande de... l’aimer ! Il exige un acte de foi. Parce qu’il sait aussi qu’une telle exigence unit les uns (les Blancs) et exclut les autres : les Noirs, les Arabes, les musulmans.

Car, qu’on ne s’y trompe pas, MG n’est pas un adepte de l’ « assimilation » ou de son pseudonyme l’ « intégration ». S’il fait mine de s’offusquer que nous, qui sommes originaires des anciennes colonies, ne voulions/puissions faire notre cette « Histoire de France », c’est pour mieux nous en faire le reproche : ce serait nous qui porterions ainsi la responsabilité du racisme dont nous sommes l’objet. Mais son propos véritable est ailleurs : il s’agit pour lui de souligner notre altérité irréversible et de pointer en nous un péril qui menace la « France ». « Pour de nombreux habitants de ce pays, écrit-il, il n’y a plus d’histoire de France, c’est-à-dire de mémoire partagée, revendiquée, assumée tel un héritage, par tous ceux qui, un jour, sont devenus citoyens français. Ce qui les concerne - et c’est cette mémoire-là qu’ils veulent imposer à tous -, ce n’est pas l’histoire de France et donc aussi, comme l’écrit Simone Weil dans L’Enracinement, « les injustices, les cruautés, les erreurs, les mensonges, les crimes, les hontes contenus dans le passé, le présent et les appétits du pays », mais LEUR histoire EN France. »(les majuscules sont de MG) [28]. « Citoyens français, ils se sentent et se veulent encore étrangers. Ou plutôt, ils veulent bien être de ce pays à condition qu’il ne ressemble qu’à eux. Ils sont d’ici, incontestablement, mais ce n’est qu’un lieu, et leur âme est encore ailleurs (...). Ce qui est ainsi en cause, c’est bien plus que l’ « intégration ». En rejetant l’histoire de la France, en la condamnant, ce n’est pas seulement cette intégration qu’on rend difficile, c’est la survie de la nation qui est en question. » [29].

La finalité d’un tel discours est sans ambiguïtés. Il s’agit de tracer une frontière et d’établir une hiérarchie entre « vrais » Français et Français issus des anciennes colonies ; plus encore, il s’agit de rejeter ces derniers dans une étrangeté menaçante. Les vrais Français, selon MG, sont fiers de la France malgré ses crimes passés, présents et futurs (les « appétits ») ; les faux Français - ceux dont « l’âme est encore ailleurs » - refusent de « partager » cette histoire et, plus grave, ils menacent la « survie de la nation » en voulant imposer leurs propres mémoires et en agissant pour que ce pays « ne ressemble qu’à eux ». « Eux », c’est NOUS, les personnes issues des anciennes colonies que MG distingue des autres immigrations, blanches et chrétiennes, du début du siècle. Confronté au racisme, à la haine, à la violence et à une effroyable exploitation, celles-là, se félicite-t-il, « n’imaginaient pas que l’histoire de la France eût commencé avec leur arrivée sur son sol. Ils n’accusaient pas Napoléon de crime de guerre parce qu’il avait dans leur Piémont, en 1796, donné l’ordre à ses soldats de brûler les villages qui résistaient à l’armée (...) ! Ils savaient qu’être citoyen français supposait qu’on acceptât toute l’histoire de ce pays » [30].

Le ton emphatique et martial de « Fier d’être français » prend ici tout son sens, celui d’une déclaration de guerre aux Français issus de l’immigration coloniale et postcolonial, ennemi intérieur par le corps, extérieur par l’âme et, par conséquent, doublement dangereux. On retrouve ici, soit dit en passant, la même rhétorique qui est celle de l’antisémitisme traditionnel de la France...

Notre mission : civiliser la France !

Pourtant, MG ne dit pas que des âneries. Il n’a pas tort lorsqu’il critique vigoureusement ceux, de droite comme de gauche, qui réduisent la crise française à une question économique et sociale. Il formule ses critiques d’un point de vue national-raciste, mais il n’a pas tort. Alors que certains - parmi lesquels évidemment MG - ethnicisent la question sociale, d’autres « socialisent » la question ethnique. Les uns analysent la révolte populaire d’octobre-novembre 2005, pour ne citer que cet exemple, comme une émeute ethnico-religieuse, les autres n’y voient que le produit du libéralisme économique et de l’aggravation d’un clivage urbain. Les premiers sont ouvertement racistes, les seconds occultent à tout le moins le caractère structurel des discriminations raciales en France et, en particulier, le traitement colonial des banlieues. Un aveuglement qui n’est pas sans liens avec l’illusion que la « République universelle » ne reconnaît pas les différences d’origine, de couleurs et de religion et avec cette autre que la colonisation aurait été un accident dans l’histoire de la république, sans conséquences sur le présent sinon la persistance regrettable de quelques clichés racistes que le temps et l’« intégration » effaceront. Faute de contester les mythes de l’ « histoire nationale », ils s’interdisent de voir le continuum République-nationalisme-colonialisme-racisme constitutif de la nation française contemporaine (est-il indispensable de préciser qu’elle n’est pas que cela ?). MG, lui, pousse jusqu’au bout la logique républicaine au point qu’il en révèle l’impensé suprématiste blanc et chrétien.

Il y donc a bien une sorte de question nationale qui se pose en France aujourd’hui. Et la question de l’histoire en constitue assurément l’un des enjeux majeur [31]. On ne peut ainsi qu’approuver MG lorsqu’il écrit : « Le débat sur le sens et la réalité de l’histoire de la nation est devenu central » [32] même si nous donnons à cette formule une signification qui n’est évidemment pas celle de MG. Le racisme spécifique dont sont victimes les populations issues de l’immigration coloniale et postcoloniale est avant tout la perpétuation de mécanismes et de pratiques qui s’enracinent dans l’histoire nationale-coloniale de la France et s’entremêlent avec le maintien de rapports de domination à l’égard les anciennes colonies ainsi qu’avec la poursuite d’une politique coloniale dans les Dom-Tom. L’oppression et les discriminations raciales ne seront pas résolues sans remise à plat de l’histoire et de la nation. Plus : sans que nous, issus de territoires colonisés, de peuples et d’histoires néantisés, sortions de l’« Histoire nationale » ou « républicaine » où les néo-colonialistes comme les bonnes âmes anti-racistes nous piègent (par exemple, avec l’injonction vulgaire : « Revendiquez-vous de la République et de ses valeurs universelles... »). Le continent que désormais nous revendiquons, c’est l’histoire ! Libération. Dignité. Au delà de l’égalité des droits. Exigences que ne peuvent comprendre les partisans de la lutte contre « tous les racismes », les « syndicalistes » de la lutte contre les seules discriminations et les avocats de la convergence avec les mouvements sociaux blancs. En cela la démarche des Indigènes de la république qui horrifie à juste titre MG est pleinement politique et ne saurait se réduire à quelques revendications éparpillées contre telle ou telle discrimination particulière ou à la reconnaissance symbolique de « nos mémoires » (du genre : « Voilà, on va insérer - annexer ! - quelques épisodes de votre histoire mais ne touchez pas à l’« histoire nationale » ! »).

Pour cette même raison, nous ne saurions nous satisfaire d’une quelconque « repentance » de la France. Cette perspective fait tellement mal à MG et aux siens que nous ne bouderons bien sûr pas le plaisir d’un « pardon » républicain mais nuls « pardon » ni « repentance » ne mettront un terme aux discriminations raciales. La « repentance » n’aurait d’autre sens que de corroborer l’idée selon laquelle la colonisation n’aurait été qu’une parenthèse historique heureusement bouclée par la constitution des Etats indépendants. Illusion absurde ! Des siècles d’esclavage et de colonisation se seraient évaporés sans laisser de traces ? La Révolution française aurait-elle instauré la république à peine le roi coupé en deux ? Non, il a fallu un siècle pour que la monarchie ne soit plus qu’un souvenir. Et encore ! La république conserve à nos jours de nombreux traits monarchiques. Plus : comme le souligne MG, aimer la république, c’est aimer l’histoire monarchique française ! La monarchie fait partie de l’« identité française » telle que la glorifie le nationalisme républicain dont le socialiste-chevènementiste-sarkozien, MG, se fait le chantre.

Les indépendances n’ont pas clôt ; elles ont inauguré le processus de décolonisation. Et ce combat, de longue haleine, signifie la conquête d’une histoire décolonisée. Casser, en premier lieu, l’esclave ou le colonisé que nous sommes encore, chasser le Blanc qui est en nous. Un horizon effectivement contradictoire avec l’amour de l’« histoire de France » à la sauce républicaine. Bien au contraire, poursuivre le processus de décolonisation signifie déconstruire cette histoire pour fonder une nouvelle communauté politique qui ne repose pas sur une conception ethnique de la nation mais sur la citoyenneté/égalité, c’est-à-dire également sur l’anti-colonialisme comme valeur. C’est bien cela qu’a exprimé l’Appel des indigènes en proclamant « Diên Biên Phu n’est pas une défaite mais une victoire de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ! ». Une formule qui suscite évidement le courroux de MG (et de quelques attardés ultra-gauche). « Que des Français aient été réduits à l’état de squelettes dans les camps du Viêt Minh, écrit-il, les indiffère, voire les réjouit. » [33]. Une affirmation parfaitement gratuite et mensongère, d’autant plus scandaleuse que MG n’a pas un mot pour dénoncer les crimes innommables de la république en Indochine. Le message est clair : un bon Français doit prendre le parti des soldats français même s’ils mènent une guerre injuste et coloniale. Alors, oui, les indigènes de la république sont de mauvais Français comme les Allemands qui sabotaient l’effort de guerre nazi étaient de mauvais Allemands et comme d’autres Français qui soutenaient le FLN algérien étaient de mauvais Français ! Un anticolonialiste - ce que n’est évidement pas MG - ne peut que dénoncer et les horreurs de la politique coloniale française et le sacrifice de centaines de milliers de soldats, parmi lesquels de nombreux colonisés, que la république a envoyé se faire massacrer pour satisfaire ses ambitions impériales ! Un anticolonialiste n’a aucune raison de se réjouir que « des Français aient été réduits à l’état de squelettes » ; il a toutes les raisons de se réjouir qu’une armée coloniale ait subi une cinglante défaite !

MG poursuit : « Ils (les Indigènes de la république) ne s’interrogent pas sur le régime qui est né de cette défaite française, de l’oppression qui n’y était plus coloniale, mais totalitaire et implacable » [34]. Un argument qui reprend implicitement l’idée de l’« œuvre positive » de la colonisation : « Finalement sans nous, c’est pire ! Sans nous, vous n’auriez pas eu le progrès, sans nous vous sombrez dans le despotisme et la régression ! »

Loin de nous la naïveté de réduire l’avènement de régimes autoritaires dans les nouveaux Etats indépendants à l’histoire coloniale ; pourtant, comment ne pas souligner que ces dictatures sont d’abord le produit de la colonisation, des circonstances de la décolonisation et de la persistance de rapports de domination à l’échelle mondiale ? C’est d’abord le colonialisme qu’il faut dénoncer pour avoir exterminé des populations entières, détruit les cultures, les modes de vivre, les formes de production et les systèmes politiques des sociétés colonisées ; c’est le colonialisme qui a mené des guerres sanglantes pour briser la résistance des peuples colonisés ne leur laissant souvent d’autres choix que la militarisation des mouvements de libération et la formation, dans les pires conditions, d’armées et de bureaucraties nationalistes qui ont constitué le noyau des Etats indépendants.

Devrions-nous alors regretter leur victoire sur le colonialisme ? Minimiser leur portée émancipatrice voire la nier ? Certainement pas [35]. Diên Biên Phu a été une « humiliation » [36] pour la France, s’étrangle MG. Non, elle a été une humiliation pour la république coloniale et elle a rendu leur dignité aux Vietnamiens et au-delà à l’ensemble des colonisés ; elle a donné un élan sans précédent à toutes les luttes anticoloniales ; elle a entamé la décolonisation de la république... malgré la république ! En écrasant l’armée coloniale, les Vietnamiens ont contribué à civiliser la France. En cela aussi, leur victoire constitue bien un moment formidable de la lutte pour la liberté, l’égalité et la fraternité.

Tant que la victoire anticolonialiste de Diên Biên Phu ne sera pas intégrée - célébrée ! - comme telle dans l’histoire de France, la république n’aura pas rompu avec son histoire coloniale et le nationalisme chauvin dans lesquels s’enracinent les discriminations raciales. Le chemin pour civiliser la France sera long. C’est notre mission. En espérant n’avoir pas à réduire MG à « l’état de squelette » dans un camp...

Sadri Khiari 29 juin 06

Source:
http://www.indigenes-republique.org/article.php3?id_article=303

Notes:
[1] Max Gallo, Fier d’être français, Fayard, février 2006, p.40
[2] ibidem
[3] Ibidem
[4] p.37
[5] p.128
[6] p.41
[7] Autrement dit, la France aurait dû garder l’Algérie (si elle en avait eu les moyens...).
[8] p.39
[9] p.30
[10] p.39 et 40
[11] p.56. Trop tard, Max, il y a plus d’un millénaire que « votre » culture est imprégnée par « cette culture-là » !
[12] p.57
[13] Citons l’Appel des indigènes : « Les intérêts de l’impérialisme américain, le néo-conservatisme de l’administration Bush rencontrent l’héritage colonial français. Une frange active du monde intellectuel, politique et médiatique français, tournant le dos aux combats progressistes dont elle se prévaut, se transforme en agents de la « pensée » bushienne . Investissant l’espace de la communication, ces idéologues recyclent la thématique du « choc des civilisations » dans le langage local du conflit entre « République » et « communautarisme ». (...) Sous le vocable jamais défini d’« intégrisme », les populations d’origine africaine, maghrébine ou musulmane sont désormais identifiées comme la Cinquième colonne d’une nouvelle barbarie qui menacerait l’Occident et ses « valeurs ». Frauduleusement camouflée sous les drapeaux de la laïcité, de la citoyenneté et du féminisme, cette offensive réactionnaire s’empare des cerveaux et reconfigure la scène politique. Elle produit des ravages dans la société française. Déjà, elle est parvenue à imposer sa rhétorique au sein même des forces progressistes, comme une gangrène. Attribuer le monopole de l’imaginaire colonial et raciste à la seule extrême-droite est une imposture politique et historique. L’idéologie coloniale perdure, transversale aux grands courants d’idées qui composent le champ politique français. »
[14] Voir Sophie Bessis, L’Occident et les autres (éditions La Découverte) : « L’expression « judéo-chrétien » ne suscite aucune question, tant la juxtaposition de ces deux adjectifs paraît relever de l’évidence. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi (...). Certes, ses occurrences savantes remontent loin dans le temps, et il doit, entre autres, son existence à l’antériorité historique du judaïsme et du christianisme sur l’islam (...).Mais le passage de l’expression dans le langage courant, où elle se signale depuis une vingtaine d’années par son omniprésence, a pris un tout autre sens, si on veut bien examiner l’usage politique qui en est fait. Tout dans la civilisation occidentale, est désormais judéo-chrétien, si bien qu’elle se résume à peu près totalement dans cette double matrice dont les deux composantes semblent être siamoises. Ses valeurs, ses fondements, sa culture en découlent entièrement. (...) Ce succès sans équivalent (...) ne semble pouvoir s’expliquer que par le triple processus d’occultation, d’appropriation et d’exclusion qu’autorise l’usage systématique de ce terme. D’occultation d’abord, si l’on veut bien considérer que cet accouplement permet de jeter un voile sur près de deux millénaires de haine antijuive et sur la longue négation par l’Eglise catholique de sa filiation abrahamique. (...) le cousinage entre ces deux versions de la révélation abrahamique permet surtout d’annexer le juif au seul espace occidental et de s’assurer du même coup la propriété exclusive de la part d’universel dont il est crédité. De fait, l’émergence du judéo-chrétien comme sujet collectif escamote le juif, cette éternelle incarnation de l’autre qu’on faisait venir d’un lointain ailleurs oriental, mais dans lequel il fallait bien reconnaître le premier énonciateur historique de l’universel monothéiste. (...) l’avènement d’un « judéo-chrétien » indifférencié fait apparaître l’Occident comme l’inventeur unique de l’universel (...). L’islam devient en effet, grâce à cette construction, le tiers exclu de la révélation abrahamique, donc de cet universel monothéiste dont on a fait l’annonciateur des droits profanes et de la modernité.(...) A supposer qu’on la reconnaisse, l’existence d’un triptyque abrahamique est strictement confinée à la sphère religieuse. Elle ne déborde ni dans les champs de la culture, ni dans ceux du politique où l’institution de la césure entre les trois versions de la révélation renforce la frontière entre le Nord, patrie des deux premières, et les Suds, où campe la troisième. »(pp.283-284)
[15] Voir "Le Choc colonial et l’islam. Les politiques religieuses des puissances coloniales en terres d’islam", sous la direction de Pierre-Jean Luizard, éditions La Découverte, mai 2006.
[16] MG, p. 22
[17] p.23
[18] p.131
[19] p.57
[20] p.116
[21] p.31
[22] p.116
[23] Il faut réinventer l’identité française->149], Texte publié dans Dialogues Politiques - revue plurielle de science politique, n°2, Janvier 2003
[24] Recomposer le passé, Le Monde, 5 novembre 2003
[25] « En aval de l’origine gauloise, l’historiographie libérale et républicaine a intégré sans distanciation critique le « roman des rois » mis au point au XIIIe siècle par les moines de Saint-Denis. Ces derniers avaient incorporé à leurs Grandes Chroniques de France la légende du baptême-sacre de Clovis, inventée au IXe siècle pour légitimer comme roi des Francs Pépin l’usurpateur et son fils Charlemagne. Supporters des Capétiens, nouveaux usurpateurs de la légitimité franque, les moines les ont présentés comme les héritiers mystiques de Clovis et de Charlemagne par la vertu du sacre par l’huile sainte miraculeusement conservée à Reims. L’historiographie du XIXe siècle symbolise ainsi paradoxalement l’essence métahistorique et gauloise de la France dans la succession des « trois dynasties » ¬ mérovingienne, carolingienne, capétienne ¬ qui s’achève avec l’assomption de la patrie-Messie en 1789. »( "Dénationaliser l’histoire de France" Libération, le jeudi 30 décembre 2004)
[26] Comme en témoignent, en ce qui concerne l’histoire de l’esclavage et de la colonisation, les interprétations « révisionnistes » qui prolifèrent ou celles qui renvoient dos à dos colonisateurs et colonisés (par exemple, les troupes françaises et le FLN algérien) ou d’autres encore, qui au nom d’une vision sereine, dépassionnée et non-manichéenne, de l’histoire coloniale mettent l’accent sur les « rencontres », les échanges, les interactions fructueuses entre peuples qui seraient à mettre au « bénéfice » de l’entreprise coloniale.
[27] Un mot à propos de la prétendue « œuvre positive » de la colonisation. Il ne s’agit pas de mettre en balance les massacres de colonisés et le nombre d’écoles. Il y a que vous imposez une notion de progrès ; vous imposez une finalité à l’humanité et, après, vous mesurez à leur échelle, en fonction de vos normes, critères et autres étalons, le « progrès » des autres peuples !
[28] MG, p.24
[29] pp.25-26
[30] p.35
[31] Je me permets de renvoyer à mon livre intitulé « Pour une politique de la racaille. Immigré-e-s, indigènes et jeunes de banlieue » paru en avril 2006 aux éditions Textuel, où je développe un peu plus ces questions.
[32] MH, p.132
[33] p.122
[34] p.122
[35] « Effectivement, la lutte pour l’indépendance est glorieuse, magnifique. Mais, je dirais que c’est « relativement facile ». Qu’on ne se méprenne pas sur ma pensée. La lutte pour l’indépendance coûte beaucoup de sang et de larmes, c’est un acte héroïque, mais c’est « facile » comparé aux problèmes qu’il faut résoudre, une fois l’indépendance conquise. La lutte est épique, mais avec du courage et de l’enthousiasme, c’est réalisable. C’est l’épopée. Après l’indépendance, c’est la tragédie. Car, c’est à ce moment-là, et les gens devraient s’en rendre compte, que la lutte difficile commence, que la lutte pour la libération prend son sens. A ce moment-là, on lutte pour soi-même, il n’y a plus d’alibi possible, l’homme est aux prises avec lui-même.(...) Mais toute la dignité de l’homme vient de ce qu’il préfère la liberté difficile à l’esclavage et la soumission faciles. C’est de cela que les pays nouvellement indépendants doivent prendre conscience (...)... Sekou Touré a très bien exprimé cela en répondant au Général de Gaulle : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à l’opulence dans l’esclavage ». » Aimé Césaire, entretien réalisé par Khalid Chraibi, jeudi 29 juin 2006.
[36] MG, p.39