L'autre jour je me suis fait interviouver par un journaliste de l'Utrechts Dagblad sur la banlieue et le quartier d'Overvecht où j'ai habité quand j'étais étudiant à l'Université d'Utrecht. Un photographe est venu (pas mal du tout, d'ailleurs, cette photo), et on a parlé autour d'un café. Maintenant que je vois l'article final, je suis fasciné. Avec quelle facilité on peut faire dire à son interviouvé ce qu'on a envie d'entendre!
Il n'a en effet gardé que les idées qu'il a cru comprendre et qu'il a réinterpreté à sa manière, c'est à dire que les allochtones ne doivent pas hésiter à avoir de l'ambition. Pour le reste, rien. Pourtant je lui ai expliqué comment la société néerlandaise se refusait à intégrer les allochtones en ne les épousant pas. Comment leur présence politique restait superficielle, à l'exception de deux hommes à Amsterdam (Marcouch et Aboutaleb). Par ailleurs j'ai dû insister pour qu'il corrige les erreurs les plus grossières de son article, même s'il ne m'a pas vraiment écouté.
Quand on lit l'article, on a l'impression que je reproche aux allochtones de ne pas vouloir s'intégrer, alors que ce n'est pas du tout ce que j'ai dit. Le journaliste sous-entend que les pays-bas dépensent des fortunes pour les émanciper et que, quelque part, ça rate parce que les allochtones n'ont pas d'ambition. Au contraire. J'ai dit que les allochtones ne devraient pas se laisser appeler "Turc" ou "Marocain" et refuser de se laisser étiqueter et limiter dans leurs ambitions, ce n'est pas du tout la même chose.
Ce qui me fascine, c'est qu'il se focalise sur les allochtones alors que j'ai parlé de classes sociales. J'ai insisté sur le fait que ce n'est pas un lecture ethnique qu'il faut donner, mais sociale, des problèmes en banlieue et des émeutes. Mais c'est plus difficile à vendre que les pauvres allochtones qui ne saisissent pas la chance qu'on leur donne généreusement.
Par ailleurs, pour les détails, je lui ai expliqué que "banlieue" prend un "e" à la fin, et pourquoi. Que j'ai vécu deux ans à Utrecht, pas un an. Que j'ai habité à Overvecht dans un apparte d'étudiants, et que je n'ai pas choisi d'y habiter parce que l'endroit est "plein de jeunes sans avenir". Que ma thèse ne porte pas sur l'intégration des allochtones, mais sur l'accès des minorités en politique, ce qui n'est pas pareil (sujet différent, mais aussi façon différente, moins coloniale, de regarder le rapport entre pouvoir et diversité).
Mais bon, cela reste la presse. Cela fait longtemps que je n'ai plus aucune illusion. Ce n'est pas grave: ma tronche s'étale en "une" du journal et les habitants de la province d'Utrecht auront vu mon nom, c'est déjà ça.
En attendant, pour vous faire une idée, je vous fais une traduction sauvage de l'article.
Si t'es un homme, bas toi pour l'intégration
Par RENÉ CAZANDER
UTRECHT - Abolissez les écoles blanches, noires, chrétiennes et islamiques. Elle ne font que contrer l'intégration des minorités, déclare le sociologue français Laurent Chambon
Chambon: "En tant que Néerlandais d'origine marocaine ou turque, on doit pouvoir vouloir devenir premier ministre."
Laurent Chambon a grandi à Massy, dans la banlieue de Paris. Il a vécu un an à Utrecht, dont la moitié au bord d'Overvecht. Le sociologue a choisi cet endroit parce que le quartier est bourré de jeunes allochtones sans aucune chance. La commune d'Utrecht et le gouvernement dépensent des millions pour leur offrir un futur.
Massy, une banlieue de Paris, a une population comparable. La 'banlieu' est comme à Overvecht une quartier des année 60, avec beaucoup d'allochtones, de pauvreté et de béton. Les tristesses s'y rencontrent de la même manière "mais architecturalement plus beau qu'Overvecht" trouve Chambon.
Le Français s'est penché dans sa thèse sur la question de l'intégration aux Pays-Bas et en France. Dans le résultat de son étude il a tiré un parallèle entre les deux pays. Ses trouvailles ne l'ont pas réjoui.
L'intégration en France laisse aussi à désirer, mais est plus avancée que chez nous. Il y a moins d'écoles blanches et noires et le nombre de mariages mixtes est beaucoup plus élevé qu'aux Pays-Bas. C'est un pas dans la bonne direction, trouve Chambon.
Dans les banlieus (sic) françaises, les allochones vivent plus ensemble qu'à Overvecht. "Ici, ils restent dans leur propre groupe ethnique". Les Marocains cherchent les Marocains. Les Turcs n'ont que des amis turcs.
Les Pays-Bas ont donc peu de chances de voir des émeutes entre jeunes sans espoir et police, analyse Chambon. Les groupes d'origines différentes vivent ensemble dans un quartier sans se mélanger. Faire des choses ensemble n'est pas pour demain.
Une autre différence qui a des conséquences pour la position des minorités est la conscience politique. "Aux Pays-Bas les allochtones sont moins conscients politiquement et plus difficiles à mobiliser. Ils ne se battent pas. En France tout le monde parle de politique dans la rue. C'est dans notre culture."
Le sociologue constate que dans les deux pays, l'élite discrimine. La police est aussi dure contre les allochtones. Un petit groupe d'homme blancs chrétiens gouverne le pays, aussi bien en France qu'aux Pays-Bas, selon Chambon.
On ne peut pas vraiment parler de démocratie dans les deux pays, selon lui. "La manière dont on traite les minorités montre comment notre démocratie fonctionne."
Les allochtones dans banlieues françaises se retrouvent dans une situation analogue à ceux d'Overvecht. Ils ne peuvent pas attendre beaucoup de la vie. Leur futur semble sans espoir.
Qui est né dans une quartier à problème, ne va pas s'en sortir comme ça. Chambon s'en est sorti en déménageant à l'étranger.
"Les allochtones doivent aussi eux-même contribuer à la résolution du problème de l'intégration. Je leur conseille de viser haut. En tant qu'allochtone tu dois avoir la volonté d'appartenir à l'élite."
Entretien: Utrecht n'a pas à redouter d'émeutes à la française, explique le sociologue français Laurent Chambon. Il a étudié les différences entre les banlieues à problèmes.
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PS. En allant sur la page originale, on peut voir les messages que laissent les gens. Pire encore que ce que je pensais. Ca change vraiment des forums de Libération! Un extrait traduit sauvagement:
Bonne idée... pour la France. On veut pouvoir décider où nos enfants vont à l'école. Et pour l'intégration: c'est un bon plan, juste sans issue. Surtout le mélange des cultures amène encore plus de confusion qu'il y en a déjà. (Je parle par expérience). C'est bien si on peut garder notre propre culture.
G. Henkie - A. - 08/02/07 - 21:16:21
ce sont les néerlandais qui créent les écoles noires.
dès qu'il y a 20 élèves étrangers dans "leur" école, il en retirent leurs enfants. Alors que c'est bon pour l'école. j'en ai moi même l'expérience et j'ai juste laissé mes enfants dans leur école d'origine.
Helen - utrecht - 08/02/07 - 17:39:53
C'est avec des gens comme ce Fransoos (terme très péjoratif, NdLC) que l'Eurabie (terme raciste décrivant l'arabisation de l'Europe, NdLC) dont on a si peur se rapproche.
Erik - Utrecht - 08/02/07 - 17:01:00
Quelles conneries. Ce Français de merde veut décider comment on organise nos écoles. Laissez aux gens choisir eux mêmes où ils envoient leurs petits enfants. Je ne veux pas d'un premier ministre turc ou marocain!
Me - mycity - 08/02/07 - 16:31:33
Surtout l'angle de la photo est bien. Ca nous donne une bonne idée de la 'banlieu'.
Bri - Amsterdam - 08/02/07 - 16:15:57
Qu'est ce que nous fait ce Français ici, qu'il nettoie le bordel à Paris d'abord. Ce genre de mecs nous fout dans la merde avec son attitude de softie. La police n'est pas dure contre les allochtones, elle est juste trop douce contre les allochtones criminels!
Appie - utrecht - 08/02/07 - 15:23:29