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mercredi 2 janvier 2008

Je suis dans Libé aujourd'hui



Dans la section 'Rebonds' du Libération d'aujourd'hui...

Municipales : Amsterdam capitale de la différence
Laurent Chambon sociologue français et conseiller municipal d’Amsterdam.
QUOTIDIEN : mercredi 2 janvier 2008

En 2006, j’ai été élu conseiller municipal à Amsterdam Oud Zuid (un des quatorze arrondissements amstellodamois) sur la liste du Parti travailliste menée par une femme, Bea Mieris. C’est en tant que candidat à la candidature étranger et ouvertement gay, comme d’ailleurs les deux échevins travaillistes de l’arrondissement, que j’ai été désigné par une commission de sélection après avoir été recruté par petite annonce pour occuper une place dans le milieu de la liste aux côtés de nombreuses femmes et d’un autre «allochtone» (mot barbare signifiant «né à l’étranger» en novlangue administrativo-xénophobe batave) d’origine turque.

Il faut savoir qu’aux Pays-Bas les étrangers (et pas seulement les ressortissants de l’Union européenne) ont le droit de vote aux élections locales… A Paris comme à Amsterdam, les places sur les listes d’arrondissement sont chères, et beaucoup d’aspirants candidats tentent de reléguer les têtes un peu différentes dans les tréfonds des listes pour s’assurer une place éligible.

Lors du vote des militants de mon arrondissement, j’ai ainsi dû faire face aux intrigues de candidats «autochtones» moins bien placés sur la liste et qui estimaient que leur position sur la liste ne reflétait pas leur talent, leur engagement sur le terrain, etc. C’est une expérience terrible que beaucoup de candidats «de la diversité» ont eu à connaître un jour. Xénophobie («Avec son accent on ne peut pas l’envoyer sur les marchés…»), sexisme («Elle a couché avec qui pour être sur la liste ?»), homophobie («Le communautarisme est dangereux, regarde aux Etats-Unis»), coups bas et petits complots expliquent en grande partie l’amertume et le découragement dont témoignent ceux qui, prenant au pied de la lettre les encouragements des dirigeants politiques, ont voulu s’engager en politique. Il aura fallu toute l’obstination des responsables nationaux du parti pour permettre aux «allochtones» de rester sur les listes. Une fermeté gagnante puisque notre ouverture à la diversité nous a permis de gagner les municipales, les électeurs ayant décidé d’envoyer un signal fort au gouvernement de centre droit, où sévissait alors Rita Verdonk, ministre de l’Intégration et de l’Immigration (toute ressemblance, etc). Je crois que cette année-là beaucoup de Néerlandais ont vu dans la diversité affichée par les listes du Parti travailliste un vaccin contre les dérives nationalistes, islamophobes et individualistes qui rongent les Pays-Bas depuis le meurtre de Pim Fortuyn, en 2002.

L’ouverture à la diversité n’est plus un luxe mais une question de survie. La diversité du personnel politique permet la polyphonie indispensable à la prise en compte de l’intérêt général et demeure l’un des meilleurs garde-fous contre les dérives de l’entre-soi (corruption, favoritisme, népotisme). Que le parti dirigé par Patrick Devedjian (l’ami des femmes en général et d’Anne-Marie Comparini en particulier), qui a fait bien peu pour la diversité aux élections législatives (seulement 14 % de femmes dans le groupe UMP de l’Assemblée nationale), se satisfasse à grand bruit de présenter une femme à Paris est finalement assez mignon : on sait depuis longtemps à quoi s’attendre de la droite française sur la question. Mais que le PS, dont on attend depuis 1981 qu’il accorde le droit de vote aux étrangers et qui ne peut aligner que deux députés métropolitains d’origine non européenne (1) plus d’un quart de siècle après une «marche des beurs» qu’il avait si bien su récupérer, soit aujourd’hui incapable de placer un nombre significatif de candidats de la diversité en position éligible (mettons une cinquantaine pour 36 000 communes) me révolte. Ainsi sur les vingt têtes de liste socialistes à Paris, une seule, Seybah Dagoma dans le Ier arrondissement, est noire, et on cherchera en vain une tête de liste asiatique ou maghrébine sur le site de campagne de Bertrand Delanoë. Aujourd’hui, je comprends que les militants socialistes en veuillent aux éléphants de les avoir collectivement humiliés en laissant Nicolas Sarkozy prendre des initiatives sur les questions de la discrimination positive et de la promotion d’enfants d’immigrés, trop occupés qu’ils étaient à préparer leurs sorties sexistes contre Ségolène Royal, par ailleurs seule femme à diriger une région. Que les Français blancs et hétérosexuels qui dirigent le PS fassent preuve d’une telle avidité de pouvoir est lamentable, mais qu’ils n’arrivent pas à se défaire de leurs sales habitudes à trois mois d’élections aussi importantes pour les Français est alarmant. Ces élections à la proportionnelle devraient pourtant être l’occasion de faire oublier leur nullité sur ce sujet essentiel. La droite l’a compris et s’est même mise à vendre ses «minorités» à sa façon, c’est-à-dire en surjouant la tolérance, la modération et l’ouverture comme un mauvais acteur qui n’a pas eu le temps d’apprendre son rôle et qui veut à toute force convaincre son public. Il est donc indispensable que François Hollande pour son dernier combat à la tête du PS prenne solennellement l’engagement que les listes socialistes aux municipales de 2008 seront ouvertes aux candidats de la diversité (que ce soit par leur genre, leur orientation sexuelle ou leur origine ethnique) et que ceux-ci soient placés en position éligible.

Bertrand Delanoë, quant à lui, doit être soutenu dans sa résistance aux barons locaux. J’espère de tout cœur que le courage politique dont il a fait preuve en évoquant publiquement son homosexualité l’amènera à défendre dans chaque arrondissement des listes reflétant la diversité et la richesse des Parisiens, qui font de Paris une ville incontournable économiquement et culturellement. La capitale française est déjà suffisamment en retard dans la course au titre de «ville-monde» pour que ses élus ne constituent pas un handicap de plus.

(1) George Pau-Langevin et Henri Jibrayel, respectivement élus à Paris et dans les Bouches-du-Rhône.

http://www.liberation.fr/rebonds/301256.FR.php