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samedi 14 avril 2007

Pourquoi les timbrés s'attaquent à moi

Je suis au milieu d'un psychodrame politique dont je ne peux pas encore parler. Heureusement que j'ai des amis pour leur raconter mes malheurs, car tout ce stress me fatigue au plus haut point. Il y a un an j'étais poursuivi par une femme qui avait perdu la tête et m'avait pris pour cible. Me voilà maintenant, bien malgré moi, au centre d'une affaire différente mais qui ne semble pas arriver à mes collègues du Conseil. Pourquoi?

J'ai quelques semblants d'explications, je vous les livre en vrac...
• Comme je suis étranger, j'ai tendance à ne pas assez faire confiance à mon instinct quand il s'agit d'évaluer le degré d'intégrité des gens. Plusieurs fois je savais que j'avais à faire à des personnes toxiques, mais la pression sociale et mon manque de maîtrise de règles sociales néerlandaises non écrites m'ont empêché d'en tirer les conséquences. J'ai aussi eu la naïveté de croire que d'autres m'en protégeraient alors que je vis dans une société beaucoup plus individualiste que ma société d'origine.
• Je suis en politique, au sein du parti le plus puissant de la ville, à la fois source de pouvoir mais aussi cibles d'attaques nombreuses. Mais ce n'est pas l'argument le plus important.
• J'ai un accent français et certaines personnes pensent qu'il marque une certaine bêtise, ou du moins un manque de connaissance de la situation. Un peu comme les Flamands qui sont rarement pris sérieusement à cause de leurs "g" mous et leurs gallicismes. De fait, certains se sentent autorisés à faire et dire des choses qu'ils n'oseraient jamais en présence de Néerlandais. On me raconte des salades incroyables en me prenant pour un enfant de 6 ans. On me sort des horreurs en pensant que je ne suis pas en état de comprendre leur étendue. C'est assez fascinant, finalement.
• Je fais parfois preuve d'une grande naïveté sur l'intension des gens. Le pire est souvent probable, même si d'autres ont un cœur en or.
• Si j'ai parfois du mal à cerner certains Néerlandais, il semble que certains d'entre eux ont aussi du mal à me cerner. Entre les clichés gallophobes, ce qu'ils croient savoir sur moi et mes compatriotes et ce qu'ils croient que nous sommes capables de faire, il me semble qu'ils nous évaluent très mal. Un peu comme les colonisateurs du XIXème qui sont surpris de découvrir que les Sauvages ont aussi une grammaire et des règles sociales compliquées. Pour reprendre les discussions sur les Latins, je crois que nous sommes sérieusement sous-évalués. Si les Français peuvent faire preuve d'arrogance, beaucoup d'indigènes pensent sincèrement qu'ils sont au sommet de la civilisation, c'est assez affligeant.
• Si je m'offusque facilement du comportement de certains (les règles sociales non écrites sont programmées pendant notre jeune âge et on a souvent du mal à s'en défaire), il semble que, lors de discussions, les signaux non-verbaux que j'émets sont perçus de travers par certains. Ma politesse peut être vue comme une marque de faiblesse et de soumission, par exemple, alors que dans un autre contexte ils sauraient qu'il s'agit de distance volontaire et même méprisante. Ma passion pour certains sujets est interprêtée comme le symptôme d'un début de sénilité, ce qui est mal connaître le rapport des Français aux arts et à la politique. Il en résulte que des gens mal intentionnés pensent pouvoir me faire obéir et avoir gagné la partie alors qu'il n'en est rien. Ils s'engagent alors dans des actions basées sur un mauvaise interprétation de ma position et mes intentions, et font escalader les choses.
• Les Néerlandais sont pragmatiques. Le bon côté de ce pragmatisme est qu'il y a toujours quelque chose à négocier et une solution à peu près acceptable pour tous, le mauvais, c'est que chez certains tout est négociable. Les Français (et les Latins en général, j'ajouterais), fonctionnent avec des règles différentes que beaucoup de Néerlandais ne comprennent pas: l'honneur (personnel, mais aussi du groupe), la bienséance (parfois jusqu'à l'absurde, c'est vrai), le sens de la hiérarchie (aussi bien respect du supérieur qu'attentes de protection de sa part) et un rapport assez particulier au devoir, très loin de la responsabilité personnelle des protestants.

Je me rends compte que ces différentes façons d'aborder les contacts humains sont ancrées au plus profond de nous. Si certaines personnes sont plus à même de s'adapter à l'autre et arriver à communiquer de façon assez juste (pas forcément les gens les plus intelligents ni les plus éduqués), d'autres sont incapables de sortir de leur programmation culturelle. Je ne cache pas que si je fais de mon mieux, je suis conscient que parfois l'adapation a ses limites. Mais c'est justement lors des crises du type que celles que j'ai vécues ces dernières années qu'on apprend comment on s'est construit, où sont nos limites morales et émotionnelles, mais aussi qui sont ses amis, au-delà de la nationalité ou du background culturel.
Il y a quelques années j'avais lu un live d'anthropologie culturelle sur les distances entre civilisations. L'auteur avait mis en garde le lecteur: même quand on pense qu'on parle de la même chose, on est presque certain que même si on utilise les mêmes mots, on pense à des choses différentes. Je l'avais alors trouvé excessif. Je commence à découvrir qu'il avait vraiment raison. Dans notre cas précis, c'est bien plus qu'une petite Belgique trilingue qui sépare le Royaume batave insubmersible d'une République gauloise viticole, c'est un vaste océan de malentendus.