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jeudi 12 avril 2007

La gauche réformiste en perdition



Hier soir, Frans Becker (qui travaille à la Wiardi Beckman Stichting, le bureau scientifique du PvdA) m'a offert le livre qu'il a co-dirigé avec René Cuperus sur l'échec du parti travailliste aux élections législatives "Verloren slag" (occasion manquée). Je ne l'ai pas encore fini mais j'en ai déjà lu une bonne moitié. J'y reviendrai en détail plus tard, mais je profite de quelques éclairs de lucidité (je dors très mal en ce moment) pour coucher quelques remarques sur mon blogue.
En fait, comme d'habitude je lis plusieurs livres à la fois, selon mon humeur, et l'autre livre sérieux du moment est "La dissociété" de Jacques Généreux. Les deux se mélangent et m'éclairent sur les erreurs des socio-démocrates européens, mais aussi des réformistes libéraux.

La première chose qui me frappe quand je lis Verloren Slag, c'est la vacuité intellectuelle de Wouter Bos (notre leader bien aimé) et ses amis (les gourous méditiques en costume sans cravate), et la décadence intellectuelle qui semble frapper le parti travailliste. Alors que pendant 30 ans le PvdA a donné le ton avec les intellectuels les plus efficaces et crédibles du pays (voire d'Europe), ces dernières années il a courru après les libéraux pour l'économie et l'extrême-gauche pour le social. Le grand écart intellectuel et électoral qu'il a dû faire l'a mis dans une situation catastrophique, aussi bien pour le contenu de son programme (incantations libérales naïves sur l'économie, prêchi-prêcha sur la cohésion sociale, vacuité totale sur la question de l'intégration et de l'identité) que sur le front médiatique, où Wouter Bos s'est forgé bien malgré lui une image de girouette en s'abstenant de prendre une position ferme et claire sur les sujets importants.
En face, un SP (extrême-gauche) droit dans ses bottes ou un Balkenende qui ne varie pas d'un iota (la droite protestante de province qui s'accroche à ses "normes et valeurs") forment des éléments de repère très stables pour les électeurs. Cela contraste cruellement avec la nullité de Rutte chez les libéraux ou la superficialité médiatique de Bos.

Par ailleurs, le "non" massif au traité européen aux Pays-Bas aurait dû réveiller les élites travaillistes, puisque l'essentiel de leurs électeurs traditionnels ont fait preuve d'un nonisme très clair alors que l'ensemble de l'appareil professait un ouiouisme béat. J'ai plusieurs fois eu l'occasion d'analyser pourquoi j'ai voté "oui" et pourquoi la majorité a voté "non" (je suis dans une situation personnelle très particulière), mais j'ai l'impression que le parti n'a pas voulu se poser de questions. L'ensemble de l'élite politique néerlandaise semble être passé du "on leur a mal expliqué" au "puisque les électeurs on dit non, on va se la jouer eurosceptique".
En fait, l'analyse de Becker et Cuperus rejoint celle de nombreux observateurs: ce n'était pas un "non" europhobe ou eurosceptique, mais un non pro-démocratique et angoissé. Dans les enquêtes européennes (voir le livre de Généreux), on voit que l'immense majorité des Européens veut un système à la scandinave, relativement protecteur des individus, quitte à accepter une fiscalité plus lourde. Élus par cette majorité, l'essentiel des politiques (à part l'extrême-gauche) s'empresse d'ouvrir une avenue aux réformes les plus libérales, au nom du Grand marché européen et du Progrès inévitable de la mondialisation. Les propos pseudo-libéraux complètement incultes que j'entends de la part de camarades du parti sont le signe que non seulement le parti n'est pas capable de travailler le sujet de façon sérieuse, mais que la doctrine libérale a contaminé le parti jusqu'à ses membres de base.

Les deux clientèles traditionnelles du PvdA se tournent donc plutôt vers des partis qui savent les défendre plus efficacement et font preuve de stabilité programmatique et médiatique: le SP pour les classes moyennes et populaires en voie de paupérisation et de précarisation, et les partis libéraux de droite pour les eurogagnants sur-éduqués, multilingues et croyant fermement aux stock options et la montée des prix de l'immobilier. Comme avec le phénomène Le Pen ("les électeurs préfèrent l'original à la copie"), les électeurs préfèrent soit un vrai parti des travailleurs (ce que le SP leur semble être), soit un vrai parti libéral de droite (le choix est vaste).

Un dernier point, que j'ai déjà abordé plusieurs fois, est la sélection du personnel politique. Nous avons gagné les élections municipales principalement parce que le SP n'a pas réussi à présenter assez de listes (il était absent chez nous) et parce que les allochtones se sont mobilisés contre le gouvernement. Depuis, le parti s'endort sur ses lauriers et ne fait aucun effort pour recruter de jeunes talents, aussi bien parmi les jeunes bien éduqués (qui feront les cadres et les intellectuels de demain) que parmi les minorités (qui approtent fraîcheur, diversité, et des talents nouveaux). Quand j'en parle on me dit "oui oui" mais on fait "non non".
Les électeurs, même allochtones, ne sont pas idiots. Un parti qui recrute toujours les mêmes classes moyennes blanches, frileuses, bien casées et adeptes du "doe maar gewoon" (sois normal) ne peut pas compter infiniment sur des électeurs qui ne s'y retrouvent pas, ni intellectuellement, ni politiquement, ni socialement, ni ethniquement.
A suivre...