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jeudi 12 octobre 2006

A Amsterdam, l'architecture en liberté

Un article du Monde que ma mère m'avait donné à lire cet été, et qu'Alix, mon voisin français, vient de m'envoyer par email. Il en parle dans un commentaire à mon article sur les trasformations de l'arrondissement...

A Amsterdam, l'architecture en liberté
Article paru dans l'édition du 28.07.06

Ses récents bâtiments comme ses nouveaux quartiers démontrent la vitalité inventive de la métropole néerlandaise


Amsterdam devrait être une étape obligée de tous les candidats à la Mairie de Paris - à égalité avec Barcelone, Londres ou même Berlin. Elle a ses tramways, une kyrielle de gares qui font oublier la dimension d'une ville où l'on se perd dans une multitude de bourgs et de polders, plus de bicyclettes peut-être qu'à Pékin et à coup sûr le plus beau garage à vélos, derrière la gare centrale (architectes Don Murphy et agence VMX).
A l'inverse de Rotterdam, reconstruite après la guerre sur un mode chaotique, Amsterdam s'inscrit dans une continuité urbaine qui accepte sans rechigner les propositions architecturales les plus libres, donnant suite à un patrimoine bon voisin, tolérant. Les dix dernières années ont été particulièrement fructueuses.
Pour faire le bilan de cette ville en mutation constante, les Néerlandais ont créé en 2003 un centre d'architecture de la métropole, l'Arcam (www.arcam.nl), installé dans un nouveau bâtiment sur l'Oosterdok (architecte René van Zuuk). Son dessin appartient à l'un des courants majeurs de l'architecture contemporaine : le blob, la bulle, le futurisme organique, comme on veut, souvent agaçant par sa gratuité formelle, ici bienvenu par sa taille, une situation maritime qui lui donne une allure de super bite d'amarrage, une forme de sourire et de clin d'oeil à la fois. Le pavillon de l'Arcam se trouve entre le Musée de la marine et celui de la technologie et des sciences : le NEMO, un édifice en forme de proue, ancré dans le port, caréné de cuivre vert, et dont le concepteur, Renzo Piano, a été importé de Gênes à une période où il semblait se chercher dans la jungle des formalismes et des grammaires de la modernité.
Pas facile, certes, de se faire une place au soleil dans des Pays-Bas dominés par Rem Koolhaas, colosse dégingandé de Rotterdam. Sa production théorique (New York Delire, SMLXL, Contents, etc.) fait ployer les planches à dessin des étudiants du monde entier et son agence, l'OMA (Office for Metropolitan Architecture), a fait émerger, pour le meilleur et pour le pire - traditionnelle histoire du maître et des disciples -, une cohorte d'architectes partis à la conquête du monde.
Auteur du plan d'urbanisme d'Euralille et, plus récemment, de celui de la ville nouvelle d'Almere, aux portes d'Amsterdam, ainsi que de nombreux édifices de référence aux Pays-Bas, Koolhaas, libéral en pays libéral, a eu le mérite de déverrouiller la pensée sur la ville, ses formes, ses fonctions, ses structures visibles et invisibles, son lien au temps, ses technologies, ses mythes et ses morales douceâtres (gentil patrimoine contre méchants bureaux...). S'il n'a presque rien construit à Amsterdam même, la cité lui doit une part de son inventivité. Alors que les années 1980 et 1990 restaient dans des tonalités berlinoises ou barcelonaises (le dock KNSM), les nouveaux quartiers (Java, Bornéo, Sporenburg) des docks de la ville ont bénéficié de cette liberté donnée à la conception, même si chacun des ensembles a, pour la forme, sa personnalité propre. Les plans urbains de Bornéo et Sporenburg, dus à Adriaan Geuze, auteur aussi de deux passerelles rouge vif gentiment fantaisistes, sont une belle réussite. Ils démontrent comment la possibilité de sortir des normes tout en tirant parti d'un paysage exceptionnel (les canaux, le port, le lointain) permettent à la fois une forte densité, la coexistence de populations de toutes origines sociales, une architecture aussi riche et diverse que celle de la vieille ville. Des dizaines d'architectes ont ici travaillé, chaque habitant pouvant choisir le sien pourvu qu'il respecte certaines normes : rez-de-chaussée haut (3,5 mètres) où garer voitures et vélo, limite de hauteur des maisons, mais liberté complète des formes.

Quelques « monuments » ponctuent ce paysage, évitant tout repli mesquin. L'exemple à cet égard est sans doute l'immeuble The Wale, surnommé le Sphinx, dû aux talents successifs d'Erik van Egeraat, puis de Frits Van Dongen. On n'en saisit pas au premier abord la forme, qui s'explique par la double volonté de capter le maximum de lumière et de laisser la cour centrale aussi libre et accueillante que possible par rapport au voisinage. Les lignes du toit correspondent à la position du soleil : haut, là où l'astre est à son zénith, bas, là où il est à l'horizon. Par sa structure particulière, le bâtiment a un aspect différent à chaque fois. Ses nombreuses déclivités permettent une grande diversité de logements.

Autre édifice étrange, catégorie patrimoine, le Lloyd Hotel (chambres de 2 à 5 étoiles, prix en rapport). Monument national datant de 1921 dû à l'architecte Breman, il a été successivement salle d'attente pour les émigrants d'Europe de l'Est en partance pour l'Amérique latine, centre de redressement pour jeunes délinquants, ateliers et logements pour artistes. Avant d'être confié aux mains impies d'architectes comme MVRDV et Seyferth qui, sans toucher aux structures ni même à l'esprit, voire aux fantômes de l'édifice, ont fait de cet hôtel un des hauts lieux touristiques d'Amsterdam.

Le Silodam, immeuble d'habitation à forte densité, s'étale sur les 300 mètres d'une digue dans la partie occidentale de l'ancien port. Il est dû à la même agence MVRDV, conduite par l'architecte Winny Maas. Une façade aux revêtement multiples et hétérogènes lui donne une allure de porte-conteneurs. Le paysage du port se charge d'avaler tout ce que la radicalité d'un tel édifice peut avoir de dérangeant pour un familier des vieux quartiers de Paris. L'ingéniosité des circulations, les surprises à répétition, du parking aux terrasses, parachèvent, avec les mouettes, le travail de séduction.


La prochaine étape sera Almere, laboratoire d'architecture dont le dernier lot a été confié à Koolhaas, pour l'urbanisme, et à une dizaine d'architectes aux styles aussi différents que possible. Le coeur du dispositif est dessiné par le Français Christian de Portzamparc, qui se tire formidablement d'une situation périlleuse, faisant de cet ensemble de logements et de commerces une étonnante prairie où, à la fin des travaux, pourraient être héliportées quelques vaches hollandaises.
Frédéric Edelmann