Depuis la chute du gouvernement de Balkenende, les commentaires se suivent et ne se ressemblent pas forcément. Avant même que le gouvernement tombe, j'ai lu le commentaire de Bart Tromp (mon ancien prof à l'UvA) qui soulignait que les deux protagonistes de toute l'affaire, Rita Verdonk et Ayaan Hirsi Ali, se sont toutes deux illustrées par leur manque de vision politique, leur incompétence, leur incapacité à mener un projet à son but, et surtout leur manque d'expérience politique. Ce n'est pas un hasard non plus qu'il y a peu, ni l'une ni l'autre n'était membre du VVD: on ne peut pas dire qu'elles se sont illustrées par une montée lente et impressionnante au sein du système politique néerlandais (condition, selon moi, pour en connaître le fonctionnement, qu'on y adhère ou pas). Elles ont été parachutées et investies d'un pouvoir aussi soudain qu'enorme, sans jamais avoir fait la preuve de leur compétence.
Que le VVD ait laissé ces deux femmes prendre autant d'ascendant sur la politque nationale ne peut qu'indiquer quelques dysfonctionnement, les uns n'excluant pas les autres:
- un manque de leadership au sein de la droite
- une fascination malsaine pour le populisme et les grandes gueules
- une volonté de renouvellement par les femmes qui ne repose pas sur un programme à long terme (recherche des talents, éducation, épreuve du feu au niveau local, puis ministère)
- un cynisme certain?
Je suis satisfait que le D66 soit enfin parti de ce gouvernement où il n'avait rien à faire. Reste à savoir s'il y aura dissolution, et si la gauche saura en profiter...
Dans la presse néerlandaise...
"Le premier ministre Balkenende proposera aujourd’hui la démission de son gouvernement à la Reine Beatrix", écrit le Volkskrant dans son grand article à la une. "Balkenende II est tombé jeudi, après un le dénouement dramatique d’un débat d’urgence sur la nationalité d’Ayaan Hirsi Ali."
"Une grande partie de la Deuxième Chambre réclame maintenant des élections anticipées. Mais le CDA et le VVD veulent former un gouvernement minoritaire qui continuera de gouverner avec le soutien de circonstance d’autres partis. Selon ces partis il ne serait pas raisonnable d’organiser des élections après l’été, à cause du budget pour l’année prochaine et de la mission militaire en Uruzgan."
"On s’attend à ce que la Reine consulte dès aujourd’hui les présidents de groupe parlementaire sur la question de savoir ce qu’il convient de faire maintenant. Ensuite elle prendra une décision. Selon le leader de l’opposition Bos (PvdA), il n’y a qu’une possibilité : organiser des élections le plus vite possible. ’Les électeurs doivent se prononcer, de préférence dès l’automne’."
"Le D66, Rita Verdonk et Jan Peter Balkenende, trois problèmes fondamentaux qui ont toujours joué des tours au gouvernement Balkenende, ont formé cette semaine un cocktail fatal", analysent Raoul du Pré et Philippe Remarque à la une du même Volkskrant. "Tout d’abord, le petit D66 n’a jamais participé de gaieté de cœur à la coalition de centre droit. La dure politique de la ministre de l’Intégration Verdonk, surtout, déplaisait à sa base. Et la direction du parti avait un problème de crédibilité parce que la politique de rénovation administrative promise avait été abandonnée. Les dernières semaines, d’éminents membres du D66 regrettaient ouvertement de ne pas avoir fait sauter le gouvernement lors du débat sur la mission en Uruzgan, au début de l’année."
"Le deuxième problème est Rita Verdonk. Elle est considérée comme la figure de proue d’une politique dure mais consistante dont le gouvernement se réclamait volontiers. Elle est ainsi devenue la personnalité politique la plus populaire du pays, mais dans les milieux politiques haguenois cette même rectitude la rendait de plus en plus intraitable, les derniers mois. Verdonk n’aime ni les compromis, ni les hésitations et elle n’aime pas reconnaître ses torts. Ce trait de caractère a joué un grand rôle dans l’affaire Ayaan Hirsi Ali et a finalement mené à la fin de la coalition."
"La ministre de l’Intégration n’aurait jamais pu jouer son rôle sans le troisième problème, celui qui a donné son nom au gouvernement désormais démissionnaire. On loue le premier ministre Balkenende pour sa vigoureuse politique de réforme, mais le leadership, de l’avis de tous, n’est pas son point fort. En temps de crise, et il y en a eu, le manque de direction se faisait sentir. A chaque fois, les ministres et d’autres acteurs principaux se souciaient bien peu de lui. Même aux moments cruciaux de l’affaire Hirsi Ali, Balkenende a omis d’intervenir. Finalement, il a fait en pleine nuit le lapsus qui a poussé le D66 à menacer Verdonk [en reconnaissant implicitement qu’Ayaan avait subi des pressions pour signer une déclaration]. C’est ainsi qu’un gouvernement rencontrant de plus en plus de succès a glissé sur une peau de banane."
"Les Pays-Bas auront-ils un gouvernement Balkenende III ? Ce n’est pas exclu. Jeudi, après la chute du gouvernement, Balkenende, le président du groupe CDA Verhagen et le ministre de la Justice Donner semblaient partisans d’un gouvernement minoritaire avec le VVD. Les leaders VVD Rutte et Zalm sont également pour." "L’intérêt des deux partis gouvernementaux est manifeste : l’économie reprend, c’est ’l’année de récolte’ que le gouvernement attendait depuis longtemps. Le CDA et le VVD remontent dans les sondages, aux dépens du PvdA de Wouter Bos."
"L’inconvénient, c’est que la prolongation n’est possible qu’avec le ’soutien de tolérance’ de la peu stable Liste Pim Fortuyn. Après la chute de Balkenende I le CDA ne voulait plus jamais se mettre en cheville avec la LPF. L’ironie du sort veut que Balkenende ait de nouveau besoin des fortuynistes."
"Cette chute prématurée est mauvaise pour le pays", estime Kees Lunshof dans le Telegraaf (p.3). "Des dossiers importants doivent être bouclés, tels que la réorganisation de la radiotélédiffusion publique et la nouvelle loi sur la police. On attend aussi un nouveau raccord routier entre Almere et Amsterdam, de même que la Deuxième Plaine de la Meuse. Tous ces projets et bien d’autres sont maintenant en suspens."
"Le CDA et le VVD veulent tout faire pour pouvoir continuer leur politique. De préférence jusqu’au tournant de l’année, mais ils auront alors besoin du soutien d’un autre parti qui ne peut être que la LPF. Ce parti est à zéro siège dans les sondages d’opinion. Des élections anticipées en octobre sont donc la seule issue convenable."
Commentaires
"Verdonk n’a pas eu le courage de reconnaître sa propre défaillance dans cette affaire", remarque l’éditorialiste du Volkskrant. "Elle a ainsi exacerbé la relation déjà très tendue avec le D66. Cette obstination a été la cause directe de la fin prématurée de la coalition diminuée. Le premier ministre Balkenende et le vice-premier ministre Zalm, qui était de facto le leader politique du VVD, n’ont pas su contenir Verdonk. Cela les rend directement coresponsables de la chute de leur gouvernement."
"Il est amer que le gouvernement Balkenende ait sombré par manque de leadership et de perception de la délicatesse de la situation. Les divergences d’opinion politiques n’ont pas joué un rôle significatif, cette crise n’était donc pas inévitable."
"C’est justement l’attitude des ministres D66, qui auraient préféré hier après-midi continuer de gouverner comme s’il ne s’était rien passé, qui souligne que l’éclatement de la coalition était surtout un ’accident du travail’."
Le journal de centre gauche estime que "l’électorat doit maintenant avoir la possibilité d’exprimer son jugement le plus rapidement possible". "Patauger avec un gouvernement minoritaire, comme le vice-premier ministre Zalm l’a suggéré hier soir, ne fera que creuser encore davantage le fossé, déjà large, entre la classe politique et la société civile."
Le Trouw reproche au président du groupe parlementaire CDA, Verhagen, d’avoir cherché à maintenir le gouvernement en selle coûte que coûte. "Verhagen ferait mieux d’employer son énergie à expliquer pourquoi le CDA s’est associé aussi fortement au comportement hypocrite de la ministre libérale Verdonk dans la question Ayaan. C’est à juste titre que le D66, avec l’opposition et la ChristenUnie, l’a désapprouvée. C’était un casus belli par excellence, une affaire, qui en raison des valeurs fondamentales qui étaient en jeu, valait une rupture. Les chrétiens-démocrates ont trop longtemps donné l’impression qu’ils voulaient avant tout garder le pouvoir."
Le Telegraaf juge la chute du gouvernement "inutile et regrettable". "La coalition avait encore beaucoup de pain sur la planche pour être tout à fait le principal gouvernement réformateur des dernières décennies." Et le journal populaire d’énumérer les faits d’armes de Balkenende II. "La coalition, ainsi qu’il ressort des sondages, est en train de récolter ce qu’elle a semé." Le Telegraaf reconnaît cependant que "le gouvernement Balkenende II n’était pas un gouvernement plein de personnalités expérimentées et enthousiasmantes qui guidaient le peuple." "Mais c’était le gouvernement le plus idéologique des dernières décennies, un gouvernement fortement convaincu, à juste titre, qu’il était dans la bonne voie."
"Il ne reste plus qu’à organiser des élections anticipées à l’automne. Continuer de gouverner avec le soutien de la LPF, un parti moribond, n’est pas souhaitable."
Le journal d’affaires Het Financieele Dagblad parle de la "fin justifiée d’un gouvernement souvent vilipendé à tort". "La ministre Verdonk a entraîné la coalition tout entière dans l’abîme du dossier Hirsi Ali, du réchauffé journalistique qu’elle a avidement exploité durant le débat sur la direction de la liste électorale VVD. Elle n’est pas la seule à blâmer, Balkenende et le ministre Zalm étaient complices dans la dernière phase. En définitive, il faut surtout reprocher au premier ministre de n’avoir pas su éviter les chausse-trapes. Un grand manager politique s’occupe aussi des ’petits’, surtout quand la peur de l’abandon électoral et les problèmes de leadership les rendent aussi imprévisibles que le D66."
A l’inverse des organisations patronales, le journal financier ne déplore pas cette "débâcle politique". Le "très beau budget" 2007 promis par Zalm ne servait qu’à "graisser la patte" aux électeurs. "Et pour le reste ce gouvernement avait plus ou moins achevé sa tâche. L’agenda des réformes de l’accord de gouvernement est pratiquement bouclé, avec succès, les finances publiques sont en ordre et les nouveaux défis, comme le vieillissement de la population, étaient réservés au prochain gouvernement. L’agenda politique pourra être renouvelé plus tôt. Le fait que la reconnaissance des électeurs pour les services rendus soit maintenant moins évidente, Balkenende et son équipe ne le doivent qu’à eux-mêmes."
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