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mercredi 17 mai 2006

Aimez-vous Kafka ? Ou: bienvenus au service d’immigration néerlandais, par Christine de Vos

Ceci est un article original de la journaliste indépendante néerlandaise Christine de Vos, qu'elle a réécrit spécialement en français pour les lecteurs de minorites.org. Nous la remercions pour cette contribution, d'actualité ces derniers jours après la rocambolesque déchéance de la nationalité néeraldnaise et donc du mandat parlementaire de l'islamophobe Ayaan Hirsi Ali.

Les Pays-Bas, pays de longue date réputé hospitalier et human, paraît s’être métamorphosé en république bananière. Le pays est parmi ceux qui mènent la politique d’asile la plus restrictive. Des organisations pour les réfugiés, Amnesty International et Human Rights Watch décrivent la politique menée comme contraire aux traités internationaux. Dans son livre : « Er is thans geen grond… » (« à présent il n’y a pas de motif… » - une phrase souvent utilisée dans les lettres de refus adressées par le service d’immigration aux demandeurs d’asile) Maître Frans-Willem Verbaas, avocat spécialisé en affaires d’asile, décrit la situation déplorable qui règne au service de l’immigration, l’IND.
26.000 personnes qui attendent depuis des années une réponse à leur demande d’asile. C’est ce que la ministre Rita Verdonk a trouvé lors de son entrée en fonction en 2003. La ministre, déterminée de clore tous les dossiers avant Noël 2006, lança « l’opération retour » qui renforça la capacité de rétention et augmenta les expulsions. Côté entrée, elle installa une porte en fer, équipée par le service d’immigration (IND). Le but : admettre aussi peu de personnes possible.Une demande d’asile tourne déjà mal à la première interrogation. Cela est dû aux différences culturelles, aux problèmes de communication et à des facteurs psychiques, selon une étude de l’université de Nijmegen. L’IND impute ses obstacles entièrement au caractère douteux du demandeur d’asile et rejette la demande. Cela ne doit pas surprendre. L'aspiration à une politique stricte mène à une culture axée sur la nécessité de trouver des arguments pour rejeter les demandes d’asile. Les fonctionnaires de l’IND ont l’air de douter de toute histoire par définition. Jusqu'à l’absurde on rabat les oreilles des demandeurs d’asile des numéros de vols et de la couleur de l’uniforme de l’hôtesse de l’air. De petites lacunes dans la chronologie du récit sont reprochées aux demandeurs. Malgré le rapport d’un expert qui dit que de telles erreurs sont normales, surtout quand il s’agit des événements de grande importance, rien n’est trop fort pour refuser une demande d’asile. A un Irakien de 94 ans qui a pris quelques jours pour se reprendre après son arrivée aux Pays-Bas il a été reproché de ne pas s’être présenté tout de suite. Un demandeur d’asile mineur et seul de 4 ans s’est vu reprocher de ne pas porter de pièce d’identité, ce qui rendait son histoire « d'une crédibilité douteuse ».

Rapports douteux
Cette méthode d’appréciation kafkaïenne ne touche pas uniquement aux interrogatoires mais aussi à l’appréciation de la situation dans les pays d’origine. La tendance est à qualifier un pays comme étant ‘en sécurité’ beaucoup plus tôt qu’on ne le faisait avant. Le gouvernement n’a pas la patience d’attendre l’avènement d’une certaine stabilité politique dans un pays avant d’y renvoyer des gens. Cette appréciation est uniquement basée sur les rapports du ministère de affaires étrangères, qui sont établis en concertation avec… l’IND ! Guère étonnant que les rapports sont dès lors bien plus optimistes que ceux d’Amnesty International et du Haut Commissariat des nations-Unies aux Réfugiés (HCR), qui ne jouent plus aucun rôle dans la détermination de la politique d’asile néerlandaise.
Les personnes issue des petits clans de Somalie, qui n’ont pas les moyens militaires de se protéger, sont considérées par Amnesty et l’HCR comme des réfugiés aux termes de la Convention de Genève. Ils sont en danger dans toute la Somalie. Selon le ministère des affaires étrangères par contre, ils peuvent s’installer sans risque dans le nord-est du pays. Pareil pour les Tchétchènes, qui sont supposés s’installer n’importe où dans la Fédération de Russie en dehors de la Tchétchénie, ce qui selon Amnesty et l’HCR est absolument injustifiable.Une autre inquiétude est le nombre de refus prononcés dans le cadre de la procédure dite de 48 heures, ou « procédure AC ». Cette procédure existe depuis 1994, quand des touristes d’Europe de l’Est utilisaient la procédure de demande d’asile politique pour passer des vacances pas chères aux Pays-Bas. Le but de cette procédure était de prononcer rapidement des décisions de refus dans ces cas-là, et dans d’autres dossiers manifestement voués à l'échec. La pratique nous apprend cependant que la procédure AC sert aussi à refuser des demandes sérieuses et complexes. Un Libyen a vu son dossier refusé bien qu’il soit évident qu’il ait été torturé et bien que la Libye a une réputation méritée de cruauté. Dans un autre cas, l’avocat a fermement déconseillé la procédure AC, car la demanderesse était probablement traumatisée à cause d’un viol et après avoir assisté à l’exécution de sa mère. L’interrogatoire a quand même eu lieu. Le fonctionnaire n’a même pas voulu l’interrompre quand la femme indiquait avoir le tournis. La décision de refus lui a été remise en mains propres à l’issue de l’interrogatoire quand le tournis s’est développé en crise épileptique, la femme étant ensuite emmenée à l’hôpital en ambulance.

« Sobre mais juste »
On pourrait croire que si la politique de l’IND est plus stricte, les tribunaux seraient devenus plus critiques. C’est plutôt l’inverse qui est vrai. Depuis une nouvelle loi de 2001, le Conseil d'Etat est compétent en matière de recours contentieux. L’institution est connue comme étant extrêmement rigide et se montre indifférente vis-à-vis des dommages collatéraux de la politique de l’IND. Un recours d’une Iranienne qui avait gardé le silence sur son viol commis par les services secrets, par peur d’être repoussée par son mari, a ainsi été rejeté. Elle aurait dû le mentionner avant. Tant pis aussi pour la petite fille qui a omis de mentionner qu’à son retour en Somalie elle subirait l’excision de son clitoris.Les résultats de cette politique qualifiée par le ministre“sévères mais juste” sont là. Le nombre de demandes baisse depuis des années. Certains tamils ont disparu après leur retour à Sri Lanka. Cinq Kurdes expulsés ont été torturés par la police Turc. Deux sont morts dans des circonstances louches. Une Somalienne est tombé enceinte de son violeur à son retour.
Où est la justice dans tout ça ?
Christine de Vos
http://www.minorites.org/article.php?IDA=16271