Avec plusieurs millions de personnes dans les rues, la France est au centre des commentaires de la presse internationale. La plupart des commentaires me fascinent par leur aveuglement: on parle du CPE comme d'une mesure nécessaire pour la flexibilisation du marché du travail, on stigmatise des étudiants "privilégiés" et des Français réactionnaires défendant leurs acquis.
Il est clair que le marché du travail français a besoin de nombreuses réformes. Mais ce que n'arrivent pas à comprendre nombre de correspondants des journaux étrangers et de commentateurs, c'est que ces millions de gens sont descendus dans la rue principalement pour des raisons politiques, et non uniquement pour défendre des "privilèges":
1°) le régime politique français est moribond et quasiment dictatorial, au moment où de nombreux citoyens sont prêts pour la démocratie participative: le premier ministre n'a jamais été élu et ignore ostensiblement l'assemblée (il gouverne par ordonnances). Le président a été élu pour contrer Le Pen (il avait 19% au premier tour) mais agit comme s'il avait eu personnellement 82%, monopolise les pouvoirs (son parti tient toutes les assemblées). L'Assemblée nationale, du fait de son mode d'élection, a peu de légitimité démocratique (10% de femmes, un seul homo et zéro allochtone sur 577 députés), le Sénat encore moins, la séparation des pouvoirs est quasi-inexistante.
2°) Le monde intellectuel parisien officiel s'illustre plus par son ethnocentrisme et sa nullité que par son brio: colonialiste, raciste, de plus en plus à droite, ayant perdu tout contact avec la réalité et le reste du monde, le petit monde germano-pratin est avant tout gallocentriste et arrogant. Cela se reflète dans les universités, l'administration, les grandes écoles et chez les éditeurs
3°) la génération au pouvoir a sacrifié ses enfants (les jeunes entre 18 et 35 ans) pour assurer ses privilèges économiques et symboliques. Ca me fait beaucoup rire que les journalistes qui fustigent les "étudiants privilégiés" sont ceux qui vivent de leur exploitation sans vergogne: stagiaires esclavagisés, précaires pressurisés, ils ne peuvent garantir leur statut de journaliste bien payé que par l'exploitation d'une armée de volontaires travaillant très dur pour presque rien.
Ce n'est pas un hasard si le feu a d'abord pris dans les banlieues, et remonte doucement la piramide sociale: les jeunes des banlieues, puis les étudiants, puis la classe moyenne... Je pense que le pouvoir français s'illustre avant tout par son aveuglement, et la presse étrangère par sa méconnaissance de la France. Le régime politique et économique français est au bord de l'explosion, et les voisins de la France devraient se méfier: quand une révolution éclate en France, elle a de lourdes conséquences en Europe et en Amérique.
Que les censeurs ravalent leurs certitudes et commencent à se demander comment ils survivront la remise en cause de leurs privilèges...