La presse néerlandaise se penche sur l'état du pays. Intéressant!
"Que se passe-t-il aux Pays-Bas ?" s’interroge le Het Parool (p.7) d’hier soir. "Nous portons massivement et ostentatoirement le deuil d’un homme politique ou d’un chanteur populaire et, affublés d’une tenue bizarre, nous nous laissons aller quand le onze orange gagne. Conclusion du chercheur Joep de Hart du Cultureel Plan Bureau (CPB) : nous sommes un peuple instable et à la dérive."
"Pour le chercheur du CPB, il est établi que les Néerlandais changent. Les comparaisons historiques le montrent. De Hart s’est penché sur les obsèques, en 1919, du chef de file socialiste et ’Messie des travailleurs frisons’ Ferdinand Domela Nieuwenhuis et sur celles d’un homme qui avait également des traits messianiques, Pim Fortuyn. Il a aussi comparé les réactions à la mort du chanteur populaire amstellodamois Johnny Jordaan en 1989 et celles au décès d’André Hazes en 2004. L’attention portée au décès de Domela Nieuwenhuis était énorme, mais les réactions étaient mesurées : un ’silence impressionnant’ régnait. Le cas de Pim Fortuyn, nous nous en souvenons : cinq jours de deuil et de commotion, des gens drapés dans le drapeau national qui donnaient libre cours à leurs larmes à la vue du corbillard.
"Pour la première fois aux Pays-Bas, une foule émue a applaudi au passage du cercueil de Johnny Jordaan. Celui d’André Hazes reposait sur le point d’engagement du stade Arena où 45 000 fans affligés s’étaient réunis. Cinq millions de Néerlandais ont suivi le spectacle en direct à la télévision."
"’Il y a toujours eu des réunions massives, mais les émotions débridées que nous voyons les quinze dernières années sont vraiment nouvelles’, dit De Hart. Il fait valoir que jusqu’aux années soixante la mort était entourée de silence. ’Les piliers dont les gens faisaient partie canalisaient les émotions. La déchristianisation, le décloisonnement et l’individualisation ont changé cela. Nous nous sommes défaits de notre corsage émotionnel’."
"Simultanément, un grand vide s’est créé que les gens essaient de combler avec toutes sortes d’émotions fugitives pour un mort ou une équipe de football gagnante. ’Il y a une grande instabilité qu’on veut combattre. L’Internet et la télévision jouent un grand rôle à cet égard. Le deuil et la joie sont étalés sans gêne et avec un rituel fixe’, selon De Hart."
"L’instabilité s’exprime aussi en un grand besoin de nouveaux rites, héros et guides - qui ne doivent d’ailleurs pas nécessairement être d’une qualité exceptionnelle, selon De Hart. ’Nous sommes individualisés, détachés du groupe, mais nous voulons tant nous laisser guider, recevoir des conseils dans tous les domaines. Les librairies sont pleines de manuels pour cela.’"
"Les Néerlandais sont des ’nomades spirituels’, qui retiennent de la religion ce qui les arrange et qui savent construire un lieu de pèlerinage autour d’une cannette de bière ou d’un ours en peluche. L’émotion est de nature populaire et à effet direct. Et cet effet est très fugitif. Dès que les dernières notes de You’ll never walk alone s’estompent la vie reprend son cours."
"Il semble qu’il y ait une sorte de solidarité-en-veille qui, en cas d’événements bouleversants, peut être mobilisée en peu de temps et surtout massivement", écrit De Harte en page d’opinion du NRC Handelsblad d’hier soir. "Elle est plus spontanée et plus personnelle que les anciennes formes de solidarité, mais elle est aussi suscitée plus souvent par les émotions du moment."
"En cas de catastrophe ou de deuil national, une telle solidarité-en-veille est un grand bien. Mais la médaille a un revers : à une époque où la confiance dans le gouvernement est au plus bas, où les citoyens ne se sentent plus sûrs de l’avenir et où l’appel à un leadership vigoureux et visionnaire s’amplifie, quelques événements bouleversants peuvent ouvrir une véritable boîte de Pandore et éveiller des forces presque impossibles à maitriser. Notre passé récent en offre suffisamment d’exemples." "Les images de mosquées en flammes et d’écoles islamiques souillées après le meurtre de Theo van Gogh ne remontent qu’à un an."
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