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samedi 19 novembre 2005

Analyses post-émeutes °

Hier, j'ai participé à un débat à l'Emcemo sur les émeutes françaises. Alors qu'à l'autre bout de la ville Paul Scheffer débatait contre Dyab Abou Jahjah (je gentil néerlandais réformiste contre le méchant arabe), nous débations avec Khadija Arib (élue travailliste), Frédéric Sarkis (des Indigènes de la République) et Abdou Menebhi (président d'Emcemo) sous l'oeil bienveillant de Rachid Jamari (un autre travailliste).
La salle était bien moins jeune que l'autre jour dans le Diamantbuurt, mais les questions n'en étaient pas moins intéressantes. Et formulées différement. Beaucoup de Marocains de la première génération, révoltés d'avoir tellement travaillé pour finalement être considérés comme personna non grata aux Pays-Bas. Khadija Arib a expliqué que son propre fils, bien éduqué, néerlandisé à mort, était confronté à un chômage que ses camarades Kreukreux de souche ne connaissaient pas. Les seuls média intéressés par ce débat était les gens de l'omroep musulman. Peut-être nous aurait-il fallu brûler quelques voitures pour attirer les autres.

Parmi les gens les plus cités en ce moment aux Pays-Bas figurent Sylvain Ephimenco et Alain Finkelkraut. Le premier, ancien correspondant de Libé aux Pays-Bas, a tourné super-réac et écrit désormais des éditoriaux pour le Trouw (qui a eu été progressiste mais qui semble virer à droite). Dans son dernier papier, il accuse les rappeurs de propager la haine. C'est le vieux refrain des académiciens vichistes: les méchants artistes gauchistes sont à l'origine des violences, et les pauvres jeunes crétins, au lieu de se civiliser, écoutent cette "musique de nègre" qui les incite à la révolte. Forcément, sans les rappeurs, jamais ils ne se seraient révoltés, vu que tout va bien et que vraiment le modèle républicain marche à merveille (c'est ce que dit le cabinet Balkenende dans une lettre aux députés, si on remplace "républicain" par "kreukreu"). Il cite le fameux Finkelkraut, qui dit, je cite (traduit du kreukreu): "Il ne s'agit pas de problèmes sociaux, ce n'est pas une révolte de la faim. Ce sont des émeutes ethniques, dirigées contre la France. C'est un progrom gigantesque antirépublicain". Ben voyons. Quand on sait que la presse néerlandaise se gargarise de leurs analyse, on se dit que la résolution des problèmes ethniques et sociaux dans les banlieues amstellodamoises ou rotterdamoises est loin d'être assurée.
Mais revenons au débat Scheffer/Abou Jahjah. Si je partage l'analyse de ce dernier quand aux causes des émeutes, je ne partage pas du tout son programme politique. Il faut par ailleurs savoir que l'antenne de son parti, la Ligue Arabe Européenne, aux Pays-Bas a sombré parce qu'il a été noyauté par les services secrets (certains racontent que tout le monde sauf lui était une taupe!), vive la démocratie! Quand à Paul Scheffer, cannonisé intellectuel officiel du parti travailliste, il est celui qui a lancé la critique (saine, c'est vrai) du multiculturalisme, mais avec des munitions douteuses: il a accusé les minorités d'être communautaristes (avec d'autres mots, mais on y revient), et a lancé la grande vogue des "l'Islam est une religion arrierée" et autres "Islam et progrès scientifique sont antithétiques". Ce n'est pas un hasard s'il a une une relation avec Ayaan Hirsi Ali: ils semblent partager la même analyse néo-coloniale de l'intégration et du statut de l'Islam. L'une au VVD (parti libéral), l'autre au PvdA (parti travailliste), il leur manque juste un copain à l'extrême-gauche et une ex chez Balky et on a couvert l'échiquier politique kreukreu.

Pourquoi tous ces détours? Parce que, malgré tout ce dont on a parlé, les partis politiques amstellodamois sont en train de blanchir leurs listes pour les élections municipales de 2006. Même GroenLinks et le parti travailliste, partis historiquement favorables aux allochtones (et ayant largement bénéficié de leur vote), s'y mettent. On hurle que le manque de représentativité des immigrés et de leurs enfants en politique française n'a pas aidé à prévenir l'escalade, mais les Pays-Bas continuent de suivre le "modèle français" et font du nettoyage ethnique en politique. Et pour tirer les leçons des émeutes, on va demander à Ephimenco et Scheffer de bien tout nous expliquer.