Hier j'étais à la deuxième chambre néerlandaise. Les principaux média européens étaient là. Et Kreukreuscopie aussi... Attendre que Balky raconte quelque chose d'intéressant et réaliser que le Le Pen kreukreu, Geert Wilders, est lui aussi une fausse blonde m'a aussi donné du temps pour ordonner les données acquises ces derniers jours...
Le monde politique néerlandais flippe. Et il a raison. Le monde politique français devrait aussi flipper: les classes moyennes se révoltent. On leur a menti sur l'euro ("l'inflation est dans vos têtes" alors qu'entre l'inflation de 5% de 2002, 4% de 2003 et les 10% de remise à niveau du florin par rapport à l'euro, ça fait 19%), on leur a menti sur la privatisation des services sociaux (on leur a promis plus d'efficacité, alors qu'on voit surtout les listes d'attente s'allonger, le prix des assurances sociales augmenter et les scandales sur l'utilisation de millions d'euros pour refaire les toilettes du siège social alors que des gens n'ont rien reçu depuis des mois), on leur a menti sur la coalition (elle devait être à gauche mais Balky n'était pas d'humeur alors on a repris Zalm et les libéraux), on leur a menti sur l'Irak. Et on les a pris pour des cons: Bot, le ministre des BuZa (affaires étrangères), a déclaré que les gens mal informés feraient mieux de rester chez eux plutôt que d'aller voter. Vive la transparence, vive la démocratie!
Et la deuxième chambre dans tout ça? Les populistes jubilent bêtement (ils ne seront jamais au gouvernement), les autres essayent de faire croire qu'ils ont compris les électeurs. Bien voyons. J'ai voté oui car je suis en Européen: un Frenchie marié à un Portugais, vivant en Hollande, avec un nièce moitié-bulgare. Mais la plupart des gens ne sont pas ainsi: ils flippent surtout pour leur boulot, leur maison, leurs enfants. Et ces deux ou trois dernières années, le centre d'Amsterdam s'est enrichi: les riches sont plus riches, leurs 4x4 sont encore plus énormes, les appartements de base se vendent à 600.000 €, la P.C. Hooftstraat (la rue des boutiques de luxe) est en continuel changement.
Mais le néerlandais moyen est endetté à mort (+30% de familles surendettées), a vu les charges fixes augmenter sauvagement (en particulier assurances maladie et sociale, qu'on ne peut pas négocier), doit aller faire ses courses chez Aldi ou Lidl, ne va plus au restaurant car les prix de l'horeca (un terme beneluxois désignant bars et restaurants) ont parfois doublé ou triplé, voit que les temps partiels non voulus et les boulots de merde sont imposés par l'assurance chômage semi-privatisée, que les listes d'attente s'allongent (dentiste, médecin, crèche, école, HLM...), et que l'ascenseur social est vraiment en panne. Il voit aussi que l'intégration a été gerée d'une façon catastrophique (le pseudo-multiculturalisme a surtout été une forme de paresse intellectuelle et sociale qui a généré un apartheid de fait et une haine chez les allochtones comme chez les autochtones), que les privatisations demandées par Bruxelles (mais voulues par La Haye) ont mené à une hausse des prix et une efficacité moindre. Bref, lorsqu'on n'est pas Européen de fait comme moi, il est difficile je crois de faire confiance à une élite qui n'a pas à vivre tout cela, pour qui ces problèmes sont des petits problèmes pratiques sans importance.
Pour Zalm, le ministre des finances, qui n'a jamais connu la précarité ou le chômage, une augmentation autoritaire de 50 € par mois et par personne de l'assurance maladie ce n'est rien. Pour une famille pas trop thunée avec 2 enfants, ça représente 200 € sur un budget après charges fixes de 500 €, ce qui est énorme.
Je pense que le cas néerlandais est loin d'être unique. La situation des classes moyennes en Allemagne, en France, en Belgique, au Portugal ou en Italie est aussi incertaine et problématique. Mais la classe politique ne semble pas prendre la mesure du stress que cela représente. Hier, j'ai eu Remko Frerichs au téléphone, de l'institut de sondages NIPO, et d'après les derniers chiffres, il y a une ligne claire entre ceux qui ont voté non, qui représentent les pauvres et les classes moyennes, et ceux qui ont voté oui, qui sont au sommet de l'échelle sociale.
J'ai la naïveté de croire qu'il s'agit d'un problème européen, et que la crise qui s'ouvre avec ces deux référendums va mener à une reprise en main du problème par tous les européens, au lieu du bricolage minable pays par pays auquel on est soumis jusqu'à maintenant. Mais cela suppose de l'intelligence collective, un sens du bien commun européen, des connaissances sociales, politiques et économiques, beaucoup d'imagination et de volonté d'expérimenter. Et la maîtrise d'au moins un autre langue étrangère. L'élite politique au pouvoir dans les pays européens est bien trop nationale. Il est temps qu'elle laisse la place aux plus jeunes, qui ont été ailleurs en Europe grâce à Erasmus, qui se sentent réellement européens, qui ont confronté les modèles de pensée et savent les dépasser.
On sent bien que Balky et Zalm sont des dinosaures, que Chirac et Villepin puent l'Ancien Régime à plein nez, que Berlusconi et Blair sont out. Ils ont fait la preuve de leur incompétence. Il est temps de faire la place aux autres.
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Je viens de lire que Karim, le noniste de Minorités, a écrit un éditoral intéressant sur le nonisme populaire, en particulier en relation avec le camp du "non" suédois: http://www.minorites.org/article.php?IDA=9409
A lire dès maintenant!
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Luc dit: "Attention les inflations ne s'additionnent pas mais se multiplient d'une année sur l'autre (donc on arriverait pas à ton résultat de 19% depuis 2002 mais un peu moins, cependant il est important de savoir que beaucoup d'éléments entrant dans le calcul de l'inflation (ou ceux qui n'y sont pas) permettent à celle-ci d'être sous-évaluée par rapport aux besoins fondamentaux des foyers."
Karim dit: "Excellente chronique, surtout venant d'un oui-ouiste. La fracture sociale est le thème qui permet d'expliquer les différents résultats négatifs aux référendums européens de ces dernières années, du moins en Suède, en France et - semble-t-il - aux Pays-Bas."