Réponses aux questions de Jean-Yves Camus pour le journal Actualité juive...
1)Le meurtre de Théo van Gogh est-il le déclencheur d'une remise en question du multiculturalisme?
Le meurtre de Theo van Gogh est le symptôme d’une société qui va mal, et de nombreux Néerlandais en sont conscients. De là à y voir une remise en question... d’un multiculturalisme superficiel peut-être, et ça a déjà été fait par Fortuyn lui-même, mais pas du reste. L’intégration est un processus difficile et long, et le multiculturalisme néerlandais (en fait une sorte d’appartheid ethnique) l’a ralenti. Il faudrait que les Néerlandais s’interrogent plutôt sur la notion de néerlanditude (en quoi est-on Néerlandais?), et on en est encore loin.
2)Comment la société néerlandaise a-t-elle intégré, ou n'a pas intégré l'islam? Comment est-il organisé par les pouvoirs publics?
Le développement de l’Islam néerlandais s’est fait sur deux bases: le financement public, et l’appartheid social. Le financement public au culte a longtemps été la seule politique d’intégration, les élites chrétiennes demandant aux imams de juguler le gauchisme ou la criminalité juvénile en échange de généreux subsides. L’appartheid social est l’aboutissement d’une incapacité des élites néerlandaises à penser la néerlandité autrement qu’en terme ethniques: les néerlandais sont nés de parents néerlandais, les autres sont des étrangers. Face à cela, l’Islam a semblé la seule voie à beaucoup de jeunes rejettés par les autochtones, en mal d’identité positive. Depuis le 11 septembre, la pression sur l’Islam néerlandais a augmenté: les imams sont plus que jamais sommés de rendre les jeunes pieux et obéissants, et on continue d’exclure activement les jeunes d’origine étrangère, les insultant quotidiennement. Même si juridiquement les religions sont égales (l’Etat néerlandais est aussi laïque), les écarts des chrétiens intégristes sont accueillis comme une folklore chaleureux alors que les déclarations malheureuses de certains imams font l’objet d’une médiatisation extrême, avec interventions outrées des politiques.
3)Le fait que Fortuyn ait été choisi comme "plus grand néerlandais de tous les temps" marque-t-il une crispation identitaire? Le phénomène Wilders va-t-il prendre la relève de la LPF?
Le programme de la KRO sur le plus grand néerlandais a été un choc en soi, avec des débats d’un nationalisme incroyable. On a pu assister à un déballage malsain autour d’Anne Frank, les plus nationalistes demandant qu’on lui octroie la nationalité néerlandaise post-mortem, alors qu’elle a été arrêtée sur dénonciation de Hollandais. Le fait que Pim Fortuyn ait été choisi n’est donc pas surprenant, puisqu’il s’agissait d’un exercice populiste. Il s’agit d’une crise identitaire au sens où personne n’a discuté publiquement de l’utilité d’un tel programme payé avec la redevance publique.
Quant à Wilders, on peut difficilement prévoir ce qui va arriver, mais rien ne m’étonne plus: personne n’a tiré les leçons de la crise populiste de Fortuyn. Ni les politiques qui ont pillé son programme pour se faire élire, ni la presse qui n’en revient pas de vendre autant avec des déclarations aussi croustillantes, ni le peuple qui apparemment ne sait pas faire la différence entre liberté d’expression et incitation à la haine.