Come Into My Life
mardi 17 août 2004 par Laurent Chambon
Ce texte est une contribution d'une personne externe à Warning.
Le ouiquenne dernier, Amsterdam a célébré les pédés avec sa Gay Parade. Tous les ans, j’essaie de jouer à la bitchy queen, mais cette année, je n’ai pas réussi : c’était vraiment chouette. Un million de personnes debout, assises, perchées, flottantes même, pour adminer les pédales créatrices et les gouines enthousiastes. Plus de deux ans après l’horrible renversement politique que les Pays-Bas ont connu quand Fortuyn s’est fait buter, un peu de follitude, d’enthousiasme multicolore et de queeritude nous a fait vraiment beaucoup de bien. Quand je dis beaucoup, il faut lire : vraiment vraiment beaucoup beaucoup !
Comme d’habitude, on a commenté les bateaux et leurs « habitants », leur créativité (le groupe de Bears attendu chaque année avec impatience, était cette année en majorettes ; l’année dernière ils étaient en Von Trapp Family du Sound of Music), leur message (Amnesty International s’est fait applaudir comme jamais avec son bateau aux couleurs jamaïcaines proclamant « Gay rights are human rights ») ou leur musique (la hard house est définitivement out : vive l’électro et l’ethnique).
On en a vu avec des pancartes toutes faites, qui avec des numéros comme dans les jurys de patinage artistique, qui avec des "beau cul" ou "miam !". Of course, comme chaque année, des grincheuses se sont publiquement plaintes de la mauvaise image, du fait qu’on ne peut pas demander l’intégration et se faire remarquer.
Vous connaissez les arguments : le ghetto c’est mal, les folles nous font honte, la normalité c’est une discipline de tous les jours, etc... Bref, si je me suis bien amusé, a priori rien n’a vraiment changé.
Pourquoi je vous parle de la Gay Parade, archétype de l’événement pseudo-politique télécommandé par un Gay Business Amsterdam ultralibéral et bien en retard sur la prévention ? Eh bien parce qu’en ces temps de dictature de la majorité et de terrorisme économique des bars à cul amstellodamois, j’ai entrevu la notion de communauté. Pas un ghetto où seuls les pédés stéroïdés ou les fashion queens se retrouvent entre eux, mais quasiment une nation au sens où Renan l’entend : une volonté de vivre ensemble et de partager une histoire. L’espace de quelques heures, plein de pédés et quelques gouines (on va être gentil, allez) ont fait la fête ensemble, même avec pleins d’hétéros (de la famille tête-de-fromage bien blonde à la mémé sur son pliant, en passant par les touristes du Moyen-Orient accumulant les photos interdites).
Lestrade va me dire que je suis vraiment ringard de parler de Queer Nation en 2004, mais non, il se méprend : je veux dire une Nation Pédé. Car il faut le voir comme ça : les Inuit sont devenus une nation quand ils ont compris qu’ils devraient vivre avec les Canadiens, Russes ou Danois, et que cohabitation ne signifiait ni assimilation, ni humiliation. La nation est à tort associée à un territoire, une langue ou une ethnie : c’est avant tout l’idée d’une culture, bien souvent forgée dans l’oppression, qui n’est pas nécessairement destinée à devenir un État, et qui mérite d’être protégée.
Car c’est en cela que les mouvements gay et queer se sont plantés : ils se sont fourvoyés pour les uns dans l’assimilation, pour les autres dans la révolution. Ce qu’il faut, c’est apprendre à vivre les différences politiques des pédés (oui, même les pédés de droite sont pédés, même si je sais que c’est parfois dur à comprendre), et les dépasser pour obtenir le droit de vivre tels quels, même folles, même de droite, même rebelles, même dans le placard. Comme une nation : il y a des Inuit de droite, de gauche, des modernes et des traditionnels, des quasiment assimilés et des obsédés du Back To The Roots. Je sais que politiquement ce n’est pas gagné, que jamais Sarko ou Ségolène n’accepteront que nous nous appelions Nation Pédé. Mais ce n’est pas grave, ils ne nous acceptent pas non plus sans nation, ni même dans le placard. Commençons à nous penser comme une nation, et d’ici là nous aurons le temps de voir comment cela se traduira politiquement. Et puis, en attendant, on pourra faire des fêtes d’enfer que -quoi qu’ils en disent- les hétéros nous envient. A quand la Pédé Nation Parade sur la Seine ?