L'autre jours, lors d'une discussion animée avec mes élèves, est survenu le thème de l'art, et surtout de l'art français. Pour beaucoup de Kreukreus, l'art français est triste, macabre, plein de passions compliquées, et n'amuse qu'intellectuellement. Bon, c'est vrai qu'ils n'ont pas dû voir "Les Visiteurs" ou "Taxi", mais bon, continuons.
Ils m'ont expliqué que ce qu'ils aiment, c'est se détendre, s'amuser, passer un moment chaleureux, et pour eux l'art sert à cela. Ah bon, ai-je républiqué, mais ne confondez vous pas art et entertainment? Ah, quel français chauvin je fais... Et là, dans une sorte de thérapie collective, ils m'ont avoué qu'ils ne pensaient alors pas aimer l'art. Un concert intéressant et beau ne les attirait pas. Ils voulaient du spectacle, du rire et des briquets agités à l'unisson. Une peinture émouvante ne les fascinait pas. Ils voulaient des couleurs, du souvenir, du balisé. Un roman introspectif ou un brillant essai ne les fascinait pas, etc. Vous avez compris...
On a alors cherché à savoir d'où ça venait. D'après eux, l'art (ou entertainment) a une fonction sociale: souder un groupe ou une nation autour de rituels. L'enterrement de André Hazes (Johnny kreukreu, beauf et alcoolique, dont la mort a été célébrée dans le mélodrame par une foule blanche et médiocre au stade municipal en direct devant 5 millions de personnes) célébrait l'unité nationale. Et ils ont raison. La France a aussi ses idoles médiocres et unificatrices, ses stars fabuleusement beauf et dont le culte est pourvoyeur d'identité collective: Cloclo, Dalida, Jean-Jacques Goldman. Mais la différence est que l'élite néerlandaise est tellement complexée et colonisée qu'elle se fait discrète, même si son élitisme prétentieux n'a rien à envier à celui de l'élite française. Alors que l'élite française semble sûre de sa supériorité culturelle, et c'est non seulement cette élite française culturellement impérialiste qui célèbre cette supériorité, mais aussi une classe moyenne avide de frisson intellectuel et de légitimité culturelle.
Aussi désolante que cette explication puisse paraître, elle me semble assez convaincante, surtout au regard d'un autre facteur mis à jour par une élève: la concurrence. Si la médiocrité néerlandaise est le résultat d'un manque flagrant de concurrence (il suffit d'être moins médiocre que les autres pour devenir une star au royaume submersible), la "supériorité culturelle française" (relative, mais décisive par rapport à ses voisins) n'est pas uniquement dû à l'adhésion nationale, mais à la quantité de projets artistiques mis en oeuvre: parmi toutes ces oeuvres prétentieuses, il va forcément finir par émerger un truc intéressant.
De fait, la question n'est pas art ou entertainment, car l'entertainment est aussi nécessaire que l'art, mais leur cohabitation. Et là, clairement, le modèle néerlandais est un échec: l'entertainment n'y est jamais aussi bon que celui des Américains, bien meilleurs, et l'art tellement restreint et médiocre qu'on préfère ne pas trop en parler. Heureusement qu'il y a la drogue et les putes, sinon le pays deviendrait vraiment insignifiant. Oh là là!